Cette petite brochure imprimée en 1948, disponible en ligne sur Gallica et reproduite ici, est intéressante pour saisir de façon rapide et concise le socialisme religieux de Léonard Ragaz.
Nous ignorons le titre et la date de parution de ce texte en allemand. La pagination d’origine est entre crochets. Traduction dans le domaine public.
Léonard Ragaz, Un message chrétien social : la révolution du Christ, Paris : Les Éditions du CEP, collection Le Christianisme social, 1948, 16 pages
[1] LA RÉVOLUTION DU CHRIST
Un Message Chrétien Social
I. Le Message religieux
Le Message du Royaume. — La Révolution des Révolutions.
Ce que l’on appelle d’un terme surgi au hasard et en vérité très superficiel « mouvement religieux social » ou encore « Mouvement Socialiste religieux » est en première ligne, pour employer un autre terme problématique un mouvement religieux fondé sur la foi au Christ conçu selon un esprit nouveau. Son message se résume dans la parole bien connue du royaume de Dieu pour la terre. Ce mouvement représente la redécouverte et la reprise du message original de la Bible, de l’Ancien comme du Nouveau Testament : à savoir : la promesse et l’exigence de la domination de Dieu sur toute réalité, s’accomplissant et s’achevant dans la Justice. Cette justice implique le droit sacré de Dieu, qui de Dieu descend sur le monde des hommes, et non pas uniquement sur lui, et lui donne son empreinte. Le droit de Dieu qui est Créateur et Seigneur et qui sanctifie toute chose pour lui-même et pour l’homme, sa créature et son image, le Droit de Dieu qui est père et dont la volonté suprême est l’Amour qui unit, pardonne et sauve et fait de l’homme enfant, le fils et le frère ; elle signifie que Dieu descend sur la terre, incarné dans une forme essentiellement humaine et opère la libération complète de l’homme de toute domination idolâtre, de toutes les puissances profanes et mortelles qui asservissent, déshonorent et empoisonnent la communauté humaine et triomphe de la faute, du destin, de la misère et de la mort. Certaines évolutions erronées de la Cause du Christ ont relégué ce message à l’arrière-plan, l’ont même supprimé et il n’a fait sa réapparition que de temps à autre lors de convulsions révolutionnaires avec une force toute particulière chez les Wicleffites, les Hussites, les Anabaptistes. Son nouveau jaillissement des profondeurs de [2] Dieu, des profondeurs du Christ, des profondeurs de la Bible, signifie une révolution d’une portée apostolique devenue la profession de foi du Mouvement religieux Social : « Nous attendons de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la Justice habitera ».
Cette transformation signifie une poussée révolutionnaire en avant sur la base d’un retour révolutionnaire à la source de vérité. Elle mène à une nouvelle compréhension, à une nouvelle formule spirituelle, à une nouvelle Annonciation et à une nouvelle pratique de tout ce qui est désigné sous le nom de Christ. Nous ne sommes qu’au début de cette révolution mais elle est l’expression de l’immense détresse et de la fermentation du monde comme de la cause du Christ. Ce n’est que cette révolution d’ordre divin que nous pouvons nommer aussi une révolution de Christ qui pourra porter secours au monde et faire revivre à la cause de Christ des temps nouveaux. Nous faisons ressortir quelques-uns des points décisifs par lesquels s’accomplira cette révolution.
Plus d’Opium mais de la Dynamite
Tout d’abord, cette révolution marque la fin de l’orthodoxie figée dont les rigueurs ont étouffé et paralysé la cause de Christ. Au lieu d’une doctrine de Dieu et des choses divines nous avons un Message, au lieu du Dieu de la théologie, saisi dans la formule d’un Credo dogmatique où il repose à tout jamais, nous avons le Dieu vivant qui exerce son activité et sa puissance dans une histoire vivante dont le but est de façonner le monde, de modifier le monde et de libérer le monde par le royaume de Dieu et de l’homme. La cause de Christ devient l’espoir du monde. De religion et de Christianisme qu’elle était, elle devient cause de l’homme, cause de Dieu et de l’homme et par là elle se délivre d’un fardeau mortel, surtout de ce fardeau qui consiste pour elle à avoir été sans cesse l’appui et la sanction de toutes les réactions, principalement de la réaction politique et sociale ; car la foi au royaume a la face tournée en avant et non en arrière comme le Christianisme qui a si longtemps prévalu. La réaction devient révolution ; l’opium qui berce les peuples de rêves religieux, qui les endort avec des formules ecclésiastiques et pieuses de tout genre devient la dynamite qui fait sauter les montagnes des institutions contraires à la volonté de Dieu et rend les voies libres pour Dieu et pour l’homme.
Pour la Terre
Deuxièmement : Ce message est une vérité pour la Terre.
[3] Le royaume de Dieu, de la Bible vraiment comprise est incontestablement pour le monde ; il n’est pas du monde, mais pour le monde, il n’est pas pour l’au-delà ! Le fait que le Christianisme s’est prononcé si longtemps en faveur de ce dernier représente une de ses grandes dégénérescences. Et erreurs qui, aujourd’hui, doivent disparaître devant la lumière de la Vérité. Le royaume de Dieu est pour le monde. Sans doute il mène aussi à un au-delà, mais l’au-delà des conditions mondiales existantes, de « l’Aeon » actuel comme dit le Nouveau Testament, mais le royaume de Dieu ne doit pas être transporté dans l’au-delà de la tombe. Assurément, il mène aussi par delà la tombe, il est la victoire sur la mort, sur toute mort, celle de l’individu comme celle des communautés et du monde en général, il est un message de résurrection. Ce serait un grave malentendu de ne voir en nous que les représentants d’une religion d’un « en deçà » purement et simplement. Nous admettons une différence d’essence entre le monde existant et le royaume de Dieu et nous croyons que ce dernier ne viendra que dans une lutte redoutable avec les puissances du monde. Mais contrairement au paganisme et à un Christianisme traditionnel paralysé par le paganisme, nous ne nous réfugions pas avec l’espoir au royaume dans l’au delà de la tombe et de la terre, mais nous tenons nos regards fixés sur la puissance du Dieu vivant qui avec Son royaume fera irruption dans le monde de la mort et nous proclamons dans un langage nouveau la Victoire de Dieu sur toute mort.
Non pas affaire privée, mais affaire de la communauté
Poursuivons : La cause du Christ cesse d’être une cause privée pour devenir une cause collective. Le fait que la cause du Christ devient une affaire privée représente un des aspects de cette fatale dégénérescence qui se rattache à ceux que nous avons déjà nommés. On cherche, en Dieu, en Christ, dans la Bible, dans la prière, dans l’Église, dans la théologie, dans tout l’appareil de la piété un salut purement individuel : le pardon de la faute uniquement pour soi-même, la consolation et l’aide dans la détresse et la souffrance, uniquement pour soi-même, bref un salut purement individuel et on satisfait aux exigences du Christianisme dans le cercle de la vie privée par l’exercice de toutes sortes de vertus chrétiennes, mais on abandonne aux autorités – et au diable – le monde, les affaires publiques, l’État, la vie économique. Bien plus, dans notre temps on crée des théories qui cherchent à justifier théologiquement cette séparation [4] du monde intérieur de l’individu d’avec le monde extérieur, de la Société de son ordre et de ses puissances – tout à fait en opposition à l’esprit de la Bible par une explication tendancieuse de certains passages, véritable falsification de la vérité biblique.
Vienne alors l’antichrist et le diable qui prennent à leur compte tout ce terrain que l’on n’a pas revendiqué pour Dieu et Christ et la conséquence est la situation actuelle du monde. Comme on leur a enlevé le royaume de Dieu en ne le leur annonçant pas, les hommes cherchent le royaume des idoles : Mammon, la technique, la violence, la vitesse, Eros, l’ivresse, la Nation, le sang, César et à la place du Dieu vivant c’est Baal qui règne sous des formes multiples. Finalement le Christianisme individuel, séparé de sa racine, perd sa force.
Ici également, il faut qu’une révolution détruise cette voie, de dégénérescence et d’erreur. Le royaume de Dieu implique non seulement le salut individuel mais aussi le salut social, non seulement le salut de l’individu, mais le salut de la communauté, non seulement le salut de l’âme mais aussi le salut du monde. Ces deux formes de salut sont solidaires ; elles forment les pôles de la Cause du Christ, l’affaiblissement d’un pôle entraîne l’affaiblissement de l’autre. Le salut individuel prend de nouvelles forces et une nouvelle puissance quand il est associé au salut social ; inversement le salut social sans le secours de l’autre finirait dans la platitude et la mort. Mais l’ordre véritable se formule ainsi : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa Justice et tout le reste vous sera donné par surcroît » ; toute le reste, c’est-à-dire la vraie force de la foi, la vraie prière, la vraie connaissance, le vrai service de Dieu.
Le royaume de Dieu veut pénétrer dans le monde, il veut de l’Église, du domaine étroit de la piété sortir dans le monde, dans le monde entier, dans toute réalité ! Tout doit appartenir à Dieu et, partant de lui, à l’homme également : la politique, la vie économique, ce que l’on appelle choses matérielles et extérieures. Tout spiritualisme qui se cabre devant cette nécessité et veut se replier sur l’esprit et la vie intérieure se met en contradiction absolue avec l’esprit de la Bible qui revendique pour Dieu ce qui est extérieur aussi bien que ce qui est intérieur, le corps aussi bien que l’esprit, qui cherche à faire de l’extérieur l’expression de l’intérieur et du corps le temple de l’esprit, qui célèbre non pas le prêtre et le lévite mais le Samaritain, qui au jour du jugement ne se souciera pas de théologie et du culte de la piété, mais de notre attitude vis-à-vis de la misère extérieure du prochain, qui veut que le service de Dieu soit service de l’homme. Tel est l’esprit de Moïse, des prophètes et du Christ.
[5] Avec eux le chemin du royaume de Dieu va dans le monde pour l’emplir de Dieu ; en ce sens nous représentons un matérialisme sacré. Il s’agit à côté de la vérité individuelle de la cause du Christ à laquelle les millénaires chrétiens ont consacré si unilatéralement leurs efforts de faire sortir de la mine de Dieu qu’est la Bible la vérité sociale, aujourd’hui encore si peu connue, si gravement négligée, de la mettre en pleine lumière et de l’annoncer à tous les peuples en signe de joyeux message.
Dieu et non la Religion
Le royaume de Dieu veut pénétrer dans le monde. La parole a été faite chair et deviendra de plus en plus chair jusqu’à ce que le monde soit plein de la splendeur du Seigneur. Le royaume de Dieu est une chose de ce monde ; cela signifie aussi qu’il n’est pas ce que l’on appelle communément religion, que dis-je, il est bien plus pour une bonne partie en lutte avec elle comme étant un endurcissement, une extériorisation et une fausse humanisation de la cause de Dieu.
Il n’est pas non plus ce que l’on entend la plupart du temps par Église ; comme un district de la vie particulièrement sacré, séparé des autres districts de la vie, devenant sa fin à lui-même et souvent l’objet d’une idolâtrie. Il n’est pas même Christianisme dans la mesure où celui-ci est une forme de la cause de Dieu non seulement imparfaite, mais aussi dans bien des cas faussée, endurcie, sécularisée et en tout cas insuffisante et qui matérialise le plus le Christ et qui représente peut-être une séparation d’avec lui.
Non, le royaume de Dieu est bien plutôt la cause de Dieu et même la cause de Dieu dans le monde. Le royaume sous la forme collective est représenté par une communauté qui fait sienne cette cause et qui a la promesse que « les puissances du monde et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle » ; quant à l’individu il se fera disciple et successeur de Christ prenant sur lui sa cause, la cause de Dieu, du Dieu vivant, Seigneur et Père. Ni l’Église, ni la théologie, ni la piété, ni le Christianisme, ni la Religion ne sont au premier chef l’affaire de l’homme qui, en tant que disciple de Christ, sert le royaume de Dieu, mais c’est la cause de Dieu dans le monde qui est uniquement et exclusivement son affaire, à tout le reste s’appliquera comme nous l’avons déjà dit la promesse qu’ « il lui sera donnée par surcroît ». Cette façon de voir, qui est celle de toute la Bible, principalement de Jésus et des Prophètes, donne à celui qui l’adopte une vue claire de l’action de Dieu dans les événements du monde et dans la vie de l’individu. Elle servira d’une façon toujours [6] sûre à l’orientation de notre jugement sur la « vie religieuse », génératrice de confusions et sur les résistances qu’elle rencontre. Dieu est plus grand que l’Église, que le Christianisme et la Religion. Il veut la justice de Son royaume. Il est là où on l’espère et où on y aspire ; il n’est pas là où on ne l’espère point et où on n’y aspire point. Donc, il peut être aussi là où on ne le confesse pas, où peut être même on le nie ; de même qu’il peut n’être pas là où on le confesse avec zèle. Il peut être chez les « Sans Dieu » et être absent du cercle des « Pieux », et il le fait avec prédilection pour que personne ne croie l’avoir affermé ou être son favori. C’est la façon dont Jésus et les prophètes comprennent Dieu et le service de Dieu. Ils permettent à des peuples de « langues étrangères », de prendre la place de la nation élue, s’éloignent des pharisiens pour rejoindre les péagers et les pécheurs, prononcent leur jugement sur le Temple, qui oubliant Dieu ne pense plus qu’à lui-même, laisse les « Sans Dieu » appelés par Dieu lui-même juger les « pieux » et voient alors que se ferment les voies anciennes de nouveaux sentiers de Dieu, que personne, sans cela, n’aurait pu voir, sentiers paradoxaux de Dieu qui est plus grand que les pensées des « pieux » et plus grand certes aussi que celles des « Sans Dieu ». Ainsi, nous n’avons pas à juger les pensées de Dieu d’après les credos, les confessions, les formes subjectives de religions et de piété mais d’après l’objectivité de Dieu qui, loué soit-il, est plus grand que toute religion, qui se dresse puissamment au dessus d’elle, aussi contre elle et à qui appartient le royaume. Ainsi, par delà toute étroitesse ecclésiastique chrétienne religieuse, les cœurs, les regards et les actes s’ouvrent vers une liberté infinie en Dieu et venant de Dieu « là où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté ».
La nouvelle Réforme
Nous avons donc le droit de parler d’une Révolution où notre cause puise sa vérité et sa force. Et pour expliquer ce droit nous avons encore quelque chose d’essentiel à dire.
Cette révolution, ce n’est pas nous qui l’avons faite, ce n’est pas nous qui continuerons à la faire, c’est Dieu qui l’a faite en nous amenant un printemps nouveau, autrement dit, elle s’avèrera toujours davantage comme une nouvelle forme de la résurrection de Christ. Certes, elle est encore à ses débuts, mais bien des signes témoignent qu’elle est l’essentiel qui vient et qui viendra. Elle vient de Dieu et pénètre dans le monde. Beaucoup le sentent, beaucoup le reconnaissent. Nous sommes de ceux-là. Nous avons appris et reconnu quelque chose d’elle en partie par l’expérience et l’action des [7] grands hommes de Dieu. Nous voudrions nous mettre à Sa disposition, nous laisser entraîner par elle malgré notre faiblesse et nos fautes. Nous savons qu’elle dépasse de beaucoup nos pensées, que notre façon de la servir est résolument insuffisante. C’est elle qui, plus grande que nous, passant par dessus nous, fera connaître sa grandeur et sa pureté.
Nous estimons que cela signifie une nouvelle réforme de la Cause du Christ. Le mot Réforme rapetisse sans doute l’importance de la situation ; il vaudra mieux parler d’une nouvelle venue de Christ. Il faut, comme nous l’avons déjà dit, que toute la vérité, incluse dans la parole de Christ, soit vue avec des yeux nouveaux comme si jamais encore elle n’avait été vue ; cela signifie une transformation puissante révolutionnaire de notre pensée. Cela signifie une orientation tout à fait nouvelle ; cela signifie une refonte complète de l’or ancien pour qu’il brille d’un éclat divin et rajeuni, et cela signifie une action nouvelle.
Quant à la Réforme du XVIe siècle qui a si fortement marqué notre Christianisme actuel, nous reconnaissons et nous comprenons qu’elle fut un grand acte de Dieu dans l’histoire, une nouvelle percée de la vérité ancienne et fondamentale du royaume de Dieu, mais nous ne saurions dissimuler qu’elle n’a pas mis en lumière toute la vérité du royaume de Dieu ; bien plus, que son unilatéralité est devenue une source d’erreurs fatale. Le point de départ de ces erreurs a été avant tout qu’elle n’a pas reconnu le message du royaume de Dieu pour la terre. Quand ce message, certes chargé de beaucoup d’erreurs, s’est présenté aux réformateurs officiels, surtout en la personne des anabaptistes, elle ne l’a pas purifié, mais s’est contentée de le condamner et, par cette condamnation, elle s’est fermée l’accès de la vérité fondamentale de la Bible, le message du Royaume.
Cette faute fondamentale a eu pour conséquence de diminuer et d’affaiblir sur des points essentiels la vérité sociale du royaume de Dieu et n’a mis en valeur unilatéralement que la vérité individuelle. Une autre faute fondamentale fut d’expliquer unilatéralement Christ et toute la Bible par saint Paul et d’expliquer, à son tour, toujours unilatéralement saint Paul d’après le schéma pessimiste de saint Augustin. C’est pourquoi aujourd’hui sa course va vers sa fin ; c’est pourquoi les effets de cette grande action de Dieu sont épuisés aujourd’hui : c’est pourquoi Dieu ouvre une nouvelle voie à la vérité. Rien ne pourrait s’opposer davantage à la volonté de Dieu que la façon dont une théologie actuelle lance le mot d’ordre : « Retour à la Réforme » ou la formule plus rétrécie encore : « retour à la théologie de la Réforme ». [8] Le Dieu vivant ne fait jamais de cette façon chemin arrière. Ses retours en arrière sont toujours une poussée en avant. Le retour en arrière n’a que la valeur d’une considération réfléchie de la nouvelle avance. Il n’a pour but que de puiser des forces ; il n’a que le sens d’une descente plus profonde dans le puits éternel de la révélation. Notre mot d’ordre ne sera pas : « Retour à la Réforme », mais « avec la Réforme », en partant d’elle, en la dépassant et en partie aussi en la combattant « en avant » vers le Royaume de Dieu et le Jour nouveau ! » et à ce propos il nous faut faire une dernière remarque : il ne s’agit pas d’abolir mais d’accomplir.
Il faudra détruire, abandonner, abolir beaucoup de choses, mais uniquement par la réalisation. Rien ne devrait être sacrifié de l’ancienne vérité « pas le moindre iota, pas le moindre trait de lettre ». Bien plus, notre justice devra être plus complète que celle des pharisiens, des docteurs de la Loi ou alors nous n’aurions pas compris le royaume de Dieu, nous l’aurions manqué. La vieille vérité ne devra pas être détruite, mais être comprise d’une façon nouvelle, proclamée et pratiquée d’une façon nouvelle. Cela signifie que, approfondie davantage, elle sera mise en valeur d’une façon plus parfaite. Et le fait de mettre en relief la vérité sociale de l’Évangile n’attentera en rien à sa profondeur. Il ne sera pas un apport de la vérité humaine à la vérité divine, mais jaillira des profondeurs même de cette vérité de la crèche, de la Croix, du tombeau ouvert, du souffle de la Pentecôte, symbole auquel le royaume confère une signification nouvelle il ne sera qu’une nouvelle façon de voir, de proclamer l’antique vérité de Dieu. En partant du Royaume, toute vérité de Christ deviendra nouvelle. C’est un joyeux message : « Voici, je fais toutes choses nouvelles ».
II. Le Message Social
Après avoir exposé le message fondamental de notre foi et quelques-unes des ses conséquences, nous allons en envisager l’action sur notre position politique et sociale, et cela seulement dans les traits essentiels, dans ses rapports avec l’attitude que nous dicte notre foi.
Nous sommes adeptes du Socialisme
Ici aussi, nous pouvons résumer en une phrase ce qu’il y a de spécifique dans notre attitude : nous sommes les adeptes du socialisme, c’est-à-dire, au nom de notre foi, nous revendiquons une transformation dans l’ordre politique et social dans une direction qui est celle du socialisme. Cette [9] profession de foi a besoin d’un commentaire, uniquement pour ce qui concerne son rapport avec notre foi telle que nous avons établie et proclamée comme la foi au royaume de Dieu et à sa Justice. À cet égard, je me propose de mettre en relief les points suivants :
Nous faisons partie du prolétariat
Dès le début, nous nous sentons conduits vers le prolétariat : de par le message biblique dépouillé de toute théologie ; de par le Dieu vivant qui réclame et promet la justice du royaume de Dieu et qui marque toute création de son droit sacré ainsi que de par Christ, en qui cette revendication aboutit à faire des hommes des fils et des frères. Tout cela, l’essentiel en somme, nous l’avons trouvé dans le mouvement socialiste et c’est aujourd’hui encore l’état de fait le plus important. Ce prolétariat est surtout sacré aux yeux de Dieu, comme d’ailleurs, d’après la conception fondamentale et le message fondamental de la Bible, tous les pauvres, les opprimés, les déshérités à qui s’adresse, avant tout, le joyeux message. C’est pour eux qui ont été frustrés de leurs droits que vaut particulièrement le droit sacré de Dieu, Seigneur et Père, et il leur sera procuré. Ces hommes sont tout particulièrement les victimes des puissances qui font obstacle au royaume de Dieu et qui s’appellent : Mammon et la violence. C’est pourquoi ils sont au premier chef les protégés de Dieu, ils sont aussi les réprouvés de la Religion, et c’est à eux que s’adresse sans cesse à nouveau l’invitation du Christ, aux perdus du royaume qui lui sont pourtant le plus proches. Nous retrouvons dans ces socialistes et communistes prolétariens, les péagers et les pécheurs dont Jésus est devenu l’ami et le frère (« le Compagnon ») au nom de Dieu, en tant que fils de l’homme et fils de Dieu. Le chemin vers eux est pour nous un chemin de la succession de Christ.
Nous faisons partie du peuple
Notre point de départ est le sentiment que Dieu et le peuple sont solidaires l’un de l’autre. Certes, nous n’entendons pas cela dans le sens d’une doctrine qui ferait du peuple Dieu même ; mais nous combattons une telle doctrine comme une idolâtrie, en contradiction complète avec le Dieu vivant et son royaume ainsi qu’avec Jésus-Christ, fils de Dieu et de l’homme. C’est au nom de cette solidarité de Dieu et du peuple et dans son esprit que nous nous tournons vers le peuple et ce faisant nous croyons nous maintenir sur le terrain de la Bible, de l’Ancien et du Nouveau Testament. Rien n’est plus contraire à la vérité, rien n’est [10] plus odieux que de confondre cette attitude, qui est celle de Jésus et des prophètes, avec une divinisation du sang et du sol, de la violence étatique et de sa sanction mensongère par un christianisme dont on fait un mauvais usage. Par notre attitude nous servons le Dieu vivant et son Christ et non Baal et Jupiter Capitolin. S’intéresser aux hommes privés de leurs droits, déshérités, plongés dans les ténèbres, a été en vérité, de tous temps, le devoir sacré de ceux qui prenaient le parti de Dieu et du Christ. Qui ne le fait pas peut être un prêtre ou un lévite, un sadducéen ou un pharisien, docteur de la Loi ou non, mais il n’est pas un disciple du Christ, et il n’a rien à faire avec la Bible ; il s’en sert pour en abuser et est avec toute sa théologie, ses manières ecclésiastiques et sa piété, éloigné du Royaume de Dieu. Dieu et le peuple, le peuple et Dieu, Christ et le peuple, le peuple et Christ sont solidaires. C’est seulement sur ce terrain qu’on peut être avec Dieu et avec Christ. Des évolutions et des événements criminels et d’un tragique terrible, avant tout le manque de compréhension sociale du Christianisme officiel ou pour nous en tenir à un fait individuel, l’attitude de Luther contre les paysans et, de nos jours, la défaillance complète des Églises dans la question de la Guerre et de la Paix ainsi que dans beaucoup d’autres causes ont détruit cette solidarité et creusé un gouffre profond entre Christ et le peuple. Combler cet abîme au besoin par de lourds sacrifices est la tâche de ceux qui préparent la voie à une nouvelle venue de Dieu. Cette faute effroyable doit être effacée, cette tâche nous la voyons nettement et nous nous y sommes consacrés.
Pas de barrière religieuse
Nous nous rangeons du côté du prolétariat et du côté du peuple et dans cette attitude aucune barrière religieuse ne nous entrave. Là où il y a faim et soif de justice ou encore là où s’élève un cri de misère, c’est là qu’est Dieu, c’est là qu’il appelle. Là, où cela n’est pas on ne rencontre ni Dieu, ni son appel, on y pratique un égoïsme et un sport religieux, on y trouve de la religion, mais non pas le royaume de Dieu. Comme nous l’avons déjà montré, nous avons appris à l’école de la Bible à voir Dieu là où on ne le confesse pas, où on va même jusqu’à le nier et le combattre, et à ne pas le voir là où on le nomme et le confesse. Nous faisons une énorme différence entre Dieu même et la religion, entre la religion et le royaume de Dieu et si nous jugeons une chose selon la volonté et l’action de Dieu, nous ne le faisons pas en nous appuyant sur des dogmes et des credos, mais appuyés sur des réalités, orientés par la justice de Dieu sur la base de [11] notre foi et de nos pressentiments, toujours pénétrés du sentiment que nous rencontrerons Dieu sous toutes sortes de formes et qu’il aura quelque chose à nous dire.
Comment nous voyons le socialisme
C’est ainsi que nous jugeons le socialisme dans son ensemble. Il est pour nous le jaillissement de l’antique vérité du royaume de Dieu, pour nous, il est une manifestation de Dieu dans le jugement et la promesse. Ces revendications de justice sont pour nous un avertissement émouvant de Dieu. Le fait que ces revendications proviennent des « sans Dieu » n’amoindrit pas, mais accroît sa force de pénétration, car pourquoi cet avertissement ainsi que la promesse qui s’y rattache surgissent-ils sous une forme non chrétienne, sans référence à Dieu et à Christ, même en opposition avec eux ? Parce que la chrétienté officielle ne les a pas proclamées et représentées au nom de Christ comme exigence et promesse de son royaume.
Voilà la formidable vérité dont nous voyons l’action dans le socialisme et d’une façon générale dans la fermentation sociale. Rien n’est plus superficiel, plus commode, ni ne trahit davantage la volonté de Dieu que de s’attacher uniquement aux dogmes du matérialisme historique et de la lutte de classes – encore sont-ils habituellement mal compris – dont s’est armé le marxisme. Tout d’abord cela ne nous regarde pas. Ce qui nous regarde c’est notre faute, notre culpabilité aussi dans la naissance de ces dogmes ; ce qui nous regarde c’est la volonté de Dieu qui s’exprime par ce jugement sur la chrétienté ; ce qui nous regarde c’est le devoir de reconnaître cette faute et de l’effacer et aussi de comprendre la promesse qui est impliquée dans ce jugement ; car le socialisme devient un reflet splendide du royaume de Dieu et son sens profond est le réveil de la vérité du Christ sortant du sommeil profond de la sécularisation, de l’erreur et de la dégénérescence.
La grande vérité qu’il s’agit de comprendre est que dans ce mouvement vers la justice qui s’est emparé du monde (et qui combat le diable) apparaît le royaume de Dieu que confessent des hommes qui ne croient pas en Dieu parce que ceux qui croient en Dieu ont oublié le royaume. Le marxisme aussi est un bouillonnement jailli du fleuve de feu, feu du messianisme que représente le message des prophètes et de Jésus-Christ réclamant la justice pour tous et surtout pour les « sans-droits ». Il est un messianisme sans messie (Wilfred Monod) parce que la chrétienté a voulu le messie sans le messianisme.
[12] La tâche que Dieu nous impose est d’unir ces deux vérités. Il faut que ceux qui croient en Dieu apprennent à croire aussi à son royaume et que ceux qui croient à son royaume apprennent à voir leurs convictions fondées sur la foi en Dieu. Quand ces deux moitiés d’une vérité unique sont séparées, toutes les deux périssent. Le Christianisme périt quand il ne devient que la pratique individuelle de la religion mais il périt également, ce messianisme profane qui s’exprime par le socialisme et surtout le Marxisme. Nous avons aujourd’hui sous les yeux l’un et l’autre : l’effondrement de ce Christianisme comme de ce Socialisme.
Le réveil de la vérité du royaume de Dieu comblera aussi cet abîme qui rend possible la vie entre Dieu et le peuple. Le royaume de Dieu sera uni à Dieu et Dieu sera uni au royaume. Tel est pour nous le sens du socialisme, vu selon la volonté et l’action de Dieu. La tâche ainsi posée nous l’accomplissons. Nous n’obéissons pas à un dogme, mais au Dieu vivant et à son Christ.
Notre Socialisme
La question de savoir comment nous entendons notre socialisme – toujours dans ce même esprit – doit recevoir une réponse encore plus concrète. Comment, prenant pour point de départ notre foi, parvenons-nous à ce que provisoirement nous pourrions appeler notre programme politique et social ? Voici notre première réponse : Nous ne le déduisons pas de la Bible selon les procédés des docteurs de la Loi, pas non plus sous la forme d’une construction établie sur la loi biblique ou d’un caractère théologique et dogmatique, mais en nous efforçant de comprendre la parole que le Dieu vivant prononça dans l’histoire vivante, c’est là notre méthode. D’après cela, nous ne voulons pas enfermer l’esprit de celui qui est la vie dans un programme de tendance et de parti, mais nous laisser guider par la parole vivante de Dieu. Néanmoins, la Bible, en tant que Parole de Dieu, Seigneur et Père, est pour nous une orientation et un programme, mais seulement dans ses grands principes. Nous ne donnons que quelques indications de détails sur le monde de Dieu, dont ces principes font partie intégrante comme le bloc d’or l’est de la mine d’or. Nous avons là le principe fondamental de l’Ancien Testament savoir : que toutes choses, en tant que création du Dieu Saint lui sont sacrées et doivent le servir. Il ne faut pas que les hommes en fassent un mauvais usage, les exploitent, en fassent des instruments d’asservissement. Elles appartiennent à Dieu: tout d’abord la terre et tout ce qui s’y trouve ; elle est sous la sauvegarde du droit [13] sacré de Dieu. Ce droit s’incarne dans la Loi de Moïse et est mis en relief dans la prédication de la repentance et dans la promesse des prophètes. C’est un socialisme, voir même un communisme de Dieu. Ce droit sacré du Seigneur et Créateur devient dans le Nouveau Testament de droit sacré du Père, il devient Amour. Le droit et la dignité de la personne sont fondés sur le fait que l’homme est enfant et fils ; ce droit est absolu, comme Dieu est absolu, donc valable en soi indépendant des conditions sociales, donc sacré, intangible. L’absolu divin crée l’absolu humain, l’unité divine crée l’unité humaine. Aucune idole, aucune nature ne crée l’homme, ne répond de lui. C’est dans ces deux absolus que sont les vraies racines du socialisme, les racines durables. C’est ici que s’arrête tout asservissement de l’homme et toute exploitation de l’homme par l’homme ; c’est ici dans l’absolu divin et humain qu’est la source et le fondement de toute liberté et de tout élan passionné vers la liberté ; c’est ici qu’est créée cette solidarité absolue qui ne saurait se fonder sur des bases purement sociales. C’est ici que se parachève la solidarité dans le mystère qu’est notre responsabilité de la faute d’autrui. Ici, la solidarité devient service, c’est-à-dire obligation sacrée du fort envers le faible. Ici, toutes choses deviennent communes non pas dans un partage mécanique mais comme principe, comme atmosphère, comme base de la communauté, non comme principe politique de contrainte, mais comme liberté créatrice de l’amour. Ici, le socialisme et le communisme de Dieu deviennent communisme de Christ ; ici seulement Mammon est vaincu, cet ennemi principal de Dieu et de l’homme et avec lui le souci dont il tire sa force, car Dieu est Seigneur et Père. La vie en Dieu que met en lumière avant tout le Sermon sur la Montagne, chasse la vie trompeuse du monde et en triomphe ; c’est ici que vous voyez s’écrouler l’idole de la violence. Ici se brise le fatum de cet « ordre divin du monde », qui, dans le paganisme et dans le Christianisme dégénéré sanctionne l’injustice, la force, la pauvreté, l’esclavage et il est remplacé par le Dieu vivant avec sa Justice, et sa promesse d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle. Ce rappel des principes dont découle la revendication politique et sociale n’est autre chose qu’un rappel analogue de notre méthode et non un exposé complet. Nous pourrions nommer l’esprit que nous rencontrons dans ces principes : socialisme biblique ou encore socialisme absolu ou encore socialisme éternel qui domine d’aussi haut le socialisme historique et les programmes de partis que le ciel domine la terre : c’est de ce socialisme que nous nous réclamons – en dernière instance de lui seul –.
[14] Notre position vis-à-vis des partis et des programmes socialistes
Nous nous réclamons de lui, de lui seul, mais quel sera notre position vis-à-vis des socialismes humains relatifs, vis-à-vis des partis et des programmes socialistes. Nous répondons en toute liberté : nous ne sommes liés à eux d’aucune façon. Ce que nous approuvons en eux, c’est ce que réalisent d’une façon juste et appropriée les principes que nous avons définis. Nous-mêmes, nous ne sommes pas un parti, nous défendons notre cause partout ou l’occasion s’en offre. Si nous entrons dans un parti, nous ne le faisons pas pour aliéner notre liberté en sa faveur mais pour le servir en obéissant à une recommandation divine et pour servir par son intermédiaire Dieu et nos frères. Cette solidarité avec le prolétariat, cette mission dont nous sommes chargés pour lui peut nous pousser dans un des partis socialistes, mais peut aussi, le cas échéant, nous en faire sortir, quand un tel parti abdique son caractère prolétarien. Jamais nous n’oublions le caractère relatif, éphémère et incomplet de ces socialismes, dans ces partis et programmes socialistes. Toutefois de tels défauts ne sauraient nous en tenir éloignés. Nous pouvons comprendre le matérialisme historique et la lutte de classe, mais sans les approuver comme le dernier mot de la vérité sociale. Cependant nous désapprouvons ces théories et ces puissances, non seulement dans le prolétariat, mais encore davantage dans les couches, qui dans leur démagogie en font reproche au prolétariat alors qu’elles-mêmes les pratiquent encore davantage.
Nous voyons les défauts du prolétariat sans les idéaliser, ni surtout sans les diviniser, mais nous comprenons que ses fautes résultent, en partie, de sa situation sociale et sentons que nous en sommes responsables. Nous aspirons au delà de toute opposition de classe à la communauté populaire. Cette formule a été émise par nous. Notre socialisme ne veut-il pas être une communauté nouvelle ? Mais nous combattons l’usage mensonger qu’on fait aujourd’hui de cette formule au service de la conservation de l’état de choses existant. Nous ne connaissons pas de véritable communauté populaire sur la base de la suprématie de l’argent et de l’exploitation. Notre socialisme est large, généreux, mais il est aussi radical. Nous réclamons au nom de Dieu et de Christ la transformation complète de l’ordre actuel dans le sens de la justice divine.
Condition et possibilité
Sur le terrain où nous nous plaçons il n’est pas besoin [15] d’expliquer tout particulièrement que nous ne tenons pour possible une telle transformation que dans la mesure où les forces émanant de Dieu et de Christ exerceront une action de plus en plus puissante sur la communauté humaine. Nous réclamons, nous attendons une transformation sociale sur la base d’une transformation religieuse. C’est notre attitude fondamentale, ce qui ne veut pas dire que nous ne devrions commencer la transformation sociale que lorsque la religieuse serait déjà accomplie. Les deux ne viennent que l’une avec l’autre, ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer. Mais à cette condition, nous estimons une telle transformation possible. D’une façon générale, nous répudions avec force ce que l’on nomme « thèse eschatologique » selon laquelle les forces du royaume de Dieu ne se réaliseraient qu’au delà de ce monde, dans un nouvel « Aeon ». Aux termes de notre croyance, le nouvel Aeon a commencé avec Christ. Certes ces forces sont loin d’être réalisées totalement, mais elles ont pourtant pénétré dans le monde et agissent, pourvu que nous croyions en elles. L’énorme secousse qui ébranle le monde actuel, de même que l’aspiration passionnée des peuples vers une nouvelle Justice nous sont un signe que Dieu lui-même est à l’ouvrage et qu’il nous appelle à un grand renouveau.
Plus encore que le socialisme
Pour terminer, il nous faut mettre l’accent tout particulièrement sur deux choses : nous ne croyons pas que la vérité totale du royaume de Dieu apparaîtra dans le socialisme. Ce n’est pas non plus le cas dans le socialisme biblique. L’Évangile aussi contient – pour user de termes politiques – un libéralisme et une démocratie. Ils découlent tous du royaume de Dieu et devraient se confondre en une synthèse nouvelle et il va de soi que le royaume de Dieu dépasse infiniment toute formation terrestre d’ordres sociaux. N’est-il pas le message de la Victoire sur le Destin, le monde, la faute et la mort. Ce message peut dire à l’individu comme au monde beaucoup de choses qui ne relèvent pas du socialisme au sens étroit. De même que celui-ci ne saurait vivre sans cet autre élément de vérité. Le socialisme est un appel de Dieu retentissant à cette heure dans le monde. Il faut que la vérité sociale de l’Évangile soit aujourd’hui remise en lumière. Mais le fait de reconnaître cette vérité et de la réaliser doit servir à une nouvelle reconnaissance et à une nouvelle réalisation de la vérité totale de Christ et de Son royaume et inversement, ce n’est qu’en collaborant avec cette dernière que la vérité sociale de l’Évangile trouvera son accomplissement.
[16] Et ceci nous amène à une dernière constatation. Nous voyons dans le socialisme un précurseur du royaume de Dieu. Il vient pour ainsi dire comme un saint Jean-Baptiste. Il vient aussi sous une forme voilée, chargé de beaucoup d’erreurs et se chargeant de beaucoup de fautes, mais c’est qu’il n’est que le précurseur du royaume de Dieu qu’il annonce consciemment (ou, ce qui est le plus souvent le cas, inconsciemment). D’où il suit que le socialisme pour autant qu’il n’est pas biblique, absolu, éternel mais qu’il est un phénomène temporaire doit disparaître dans la mesure où il se réalise dans ce social plus grand dont il est l’Annonciateur. Cette décomposition du socialisme temporaire dans la forme provisoire que nous observons aujourd’hui fait place à la venue d’une forme plus haute et plus durable. C’est sans doute le sens de la tragédie actuelle du socialisme qui coïncide non par le fait d’un pur hasard avec la tragédie du Christianisme. Le socialisme a pour destination de trouver son accomplissement dans un nouvel éveil de la cause de Christ dans le monde et en fin de compte c’est à cette cause que va notre foi et notre vouloir.
Léonard Ragaz