Tout est possible à celui qui croit.
Marc 9,23.
Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde vous diriez à cette montagne transporte-toi d’ici-là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible.
Matthieu 17,20-21
Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et par le jeûne…
Matthieu 17,21
Je crois ! viens au secours de mon incrédulité !
Marc 9,24
« Tout est possible à celui qui croit ». Tout, vraiment ?
Oui, tout. Une seule réserve et qui va de soi : pas tout ce qui te passe par la tête, tout ce qui te paraît désirable, tout ce dont ta volonté tenace ou passionnée aimerait bien venir à bout. Non, mais seulement ce qui est nécessaire ; je veux dire ce qui, par nécessité ou par devoir, doit être. Précisons encore non point justement ce qui te semble à toi nécessaire, dans ton étroitesse de vue ou ton ignorance et selon l’impureté de ton entendement, mais seulement ce qui est nécessaire du point de vue de Dieu, si je puis ainsi dire en attendant mieux. Ajoutons pourtant tout de suite : ce qui relève de la collaboration de l’homme avec Dieu. Bref, et pour en venir au mot juste et décisif, les promesses faites à la foi et d’abord l’exaucement de la prière comme aussi le miracle authentique n’ont d’effet que liés au Royaume de Dieu, à sa promesse, à l’action qui cherche sa croissance, au combat qui soutient sa cause, à la prière qui demande sa venue.
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L’histoire, magnifique et si riche de développements, à laquelle est emprunté notre texte souligne cet enchaînement.
Tandis que sur la montagne Jésus était transfiguré, ceux de ses disciples qui étaient demeurés dans la plaine avaient vu venir à eux un malheureux père qui leur amenait son petit garçon épileptique pour qu’ils le guérissent. Assurément, c’était là un acte nécessaire. La misère de ce monde ne doit-elle pas être vaincue par les énergies du Royaume de Dieu ? Ici le secours est indispensable. Aussi bien Jésus a fait jaillir la source de l’énergie ; il n’est pour ses disciples que d’apprendre à y puiser.
Mais les fantaisies et les velléités du cœur humain ne sauraient commander l’exaucement et soumettre à leur arbitraire la parole donnée à la foi. La promesse n’a rien d’un privilège illimité, elle n’est pas faite pour rassasier les appétits humains de puissance et d’action autonome. On n’en fait pas un procédé magique, une sorte de charme religieux. Certes, le péril est immense qu’on en vienne là. Comme aisément l’âme en sa détresse et son espérance, dans sa pusillanimité comme en son outrecuidance, met la main sur ce qui lui sera ou du moins lui paraît devoir être une arme ! Quand la prière et la foi deviennent mécaniques et qu’on les réduit à des méthodes ou à des institutions, quand on prétend prendre le ciel d’assaut et qu’on se figure y parvenir par des effets de masse, aussitôt on dégringole du Royaume de Dieu dont les clartés illuminent l’esprit dans les brumes chatoyantes et les mirages de la religion banale, et du Dieu vivant on passe au monde des idoles. En vérité, la promesse faite à la foi ne vaut que pour ce qui est nécessaire, bref pour le Royaume.
Et cela est vrai, qu’il s’agisse d’ailleurs de grandes ou de petites choses. La promesse vaut tout autant pour ce qui dans notre vie individuelle se rattache au Royaume, peut subsister devant lui et lui emprunte et son importance et sa nécessité, même si l’apparence est insignifiante. L’accomplissement est certain. À cette réserve près, qui ailleurs va de soi, « tout » est possible. Et nous devrions nous tenir sur ce terrain-là, comme sur le roc. C’est ici que jaillit la plus puissante source d’énergie. Ici que nous est donnée l’épée sans égale dans le monde.
Dans notre existence personnelle et dans la vie des nations, dans les combats du Royaume de Dieu contre les royaumes du monde et de l’enfer, les difficultés, les soucis, les périls se dressent comme de hautes montagnes ; sur leurs parois il est écrit « impossible » et dans les sombres nuées qui les couronnent on lit « inévitable ». Mais Jésus déclare : « Si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne “Transporte-toi d’ici là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible.” »
— Si vous aviez de la foi ! Pour connaître l’accomplissement magnifique de la promesse, il nous faudrait donc une grande, une puissante foi. Oui, nous le voyons bien. Du prophète Élie jusqu’à Blumhardt, nous voyons les hommes qu’anime une pareille foi faire de grandes choses, voire des miracles. Mais nous, qui nous donnera cette foi-là ?
— Répondons simplement : vous vous représentez la foi comme s’il vous fallait l’extraire de vous-mêmes, comme une œuvre ou une extraordinaire tension dans l’effort. Vous pensez quantitativement et supputez que plus il y aura de foi, plus l’effet en sera grand. Et vous vous rapprochez ainsi de cette représentation magique qui joue un rôle si grand et si fatal dans la religion ordinaire.
Mais en réalité il en va tout autrement. Vous n’avez pas du tout besoin d’employer toute l’énergie de votre foi à abaisser Dieu jusqu’à vous et à vous le rendre favorable. Dieu lui-même vient à votre rencontre. Et c’est alors seulement que la foi et la prière sont correctes : il vient à vous, et vous indique des devoirs, et vous ouvre des possibilités conformes à l’ordre du Royaume, ce qui est fort différent des constructions bâties en l’air par votre imagination. Nécessité, et non point arbitraire. C’est ici qu’il faut vous engager avec toute votre foi et la capacité d’action qui en découle. C’est ici que resplendit la promesse. D’ailleurs, et il faut dûment méditer ce point, Dieu lui-même vous fait don de la foi si nécessaire. La promesse la provoque, le devoir la suppose. Vous n’auriez qu’à vous rendre et qu’à montrer le courage et la volonté d’accueillir cette foi qu’on vous offre, mais c’est trop souvent la volonté qui manque : vous ne voulez pas croire, – peut-être avez-vous de bonnes raisons pour cela ! Et plus souvent encore c’est le courage qui fait défaut.
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Éclairons maintenant la situation en recourant à la parole qui concerne le grain de moutarde. Vous n’avez besoin de foi que juste la grosseur d’une graine de ce genre. Or c’est, selon Jésus, « la plus petite de toutes les semences ». Impossible de ne pas avoir, du paradoxe contenu dans l’image en question, l’idée la plus impressionnante, si l’on a tenu une fois seulement dans le creux de sa main des graines de moutarde. Comme c’est petit ! Et il ne faut pas plus de toi pour déplacer des montagnes ! Donc nul besoin d’une foi gigantesque et qui peut-être dépasserait la montagne même. Seulement un tout petit peu de foi. Mais de la foi !
Car il est bien vrai que devant la promesse offerte, nous sommes trop souvent comme privés de foi. Lâches, aveugles, découragés, nous n’osons pas dire oui. C’est de l’ « incrédulité ». Ah ! si seulement nous faisions tant que de dire un oui, peut-être faible, mais résolu ! La foi « comme un grain de moutarde », c’est ça. Si nous nous y tenions, non : si nous nous laissions fixer là par la fidélité de Dieu ! Il n’en faudrait pas plus pour transporter les montagnes. À cette foi d’homme et non de titan, rien d’impossible.
Tout est possible, tout ce qui doit être, tout ce qui appartient à l’ordre du Royaume. Ici encore, attention. Comme souvent pour les paroles de Jésus, il faut se garder de l’interprétation grossièrement littérale, qui ne tient pas compte de l’Esprit et n’entend rien au tour paradoxal du langage du Seigneur, si bien que tantôt elle vous mène à une sorte de magie et tantôt elle vous laisse déconcerté. Ce « tout » ne doit pas être pris quantitativement, comme s’il s’agissait de faire de la statistique. C’est une manière paradoxale d’exprimer l’immensité de la promesse, sa magnificence, et ses possibilités illimitées.
Il peut donc se faire que « tout » ne réussisse pas de ce que nous entreprenons dans la conviction de sa nécessité et qu’il nous apparaisse utopique, voire fanatique, de croire que « rien » n’est impossible. Pour le dire en passant, il faut bien qu’il en soit ainsi, car qui donc parmi nous a, des nécessités du Royaume, un sens si sûr et si averti que jamais il ne se trompe dans sa foi et ne se méprenne sur les intentions de Celui qui exauce ? Mais les erreurs de la foi doivent justement servir à nous éclairer et à nous affermir, comme les prières non exaucées à nous rapprocher de Dieu. À travers déceptions et exaucements Dieu fait notre éducation. Et nous prépare à œuvrer avec lui. Nous apprenons ainsi à discerner toujours mieux les voies et volontés divines. À condition bien entendu que jusque dans leur élan et leur vigueur la foi et la prière demeurent pleines d’humilité : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ».
Mais alors, comme il est de règle, la richesse et la magnificence des exaucements et des accomplissements viennent confondre l’espérance et stupéfier la foi. C’est incroyable comme un grain de moutarde peut donner un arbre gigantesque. Peut-être tout n’est-il pas possible à la lettre, mais il y a ici beaucoup plus que ce qu’indique littéralement le mot « tout » ; et cela on peut le dire de toutes les paroles analogues de Jésus. Foin de la quantité, ce « tout » est celui de la grâce. Car Dieu dans sa souveraineté domine la réalité entière. Luther dit – et sa manière est unique lorsqu’il parle en ce sens de la foi – que « la prière est le tout-puissant seigneur de toutes choses ». Et Jésus, allant encore infiniment plus loin que Luther, précise qu’il s’agit de la prière genre grain de moutarde. Une prière de pauvre dans la foi, non celle d’un titan. Une pauvre foi sans doute, mais qui va vers Dieu et qui répond à son appel.
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Pour projeter sur ces choses une clarté supplémentaire, notons soigneusement dans le même récit cet autre mot de Jésus « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et par le jeûne. » De sa richesse, retenons un seul élément : « Par le jeûne ». Pour si important que puisse être le jeûne corporel, n’en discutons point le sens ou la valeur. Ici jeûner indique à l’évidence l’attitude de l’âme qui, hors du monde et de la captivité du moi, se retire vers Dieu, se recueille en son sein, et parvient à se libérer de tout désir et de toute convoitise comme de l’ivresse du monde. C’est dans cette retraite qu’il nous sera donné de connaître si vraiment notre foi atteint jusqu’à Dieu ou si elle n’est qu’un mirage né des rêveries de notre cœur ou des brouillards du monde. C’est là que nous apprendrons ce qu’il faut demander dans nos prières. À ces hauteurs resplendit la promesse et l’on entend la voix de Celui qui en est le garant. Ici demeure l’humilité qui détruit tout orgueil titanesque, ici la crainte de Dieu – dans le beau sens du mot – qui chasse les idoles et n’écoute que la seule voix du Dieu saint et vivant. Voici notre foi à l’abri de l’orgueil ou de la présomption. La dernière grande parole arrive : « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité. »
Nous abordons une terre sainte. Il s’agit de quelque chose que beaucoup d’entre ceux qui se réclament du Dieu vivant paraissent oublier, alors qu’à cette heure cela nous serait tout particulièrement indispensable. Nous sommes aux pieds des hauteurs du mal, en présence de l’Adversaire, devant les grandes impossibilités ou devant l’inéluctable ; nous nous tenons-là, impuissants : « Ah ! si nous étions ministres ou dictateurs de grandes nations, si du moins nous pouvions les convertir et les gagner à notre cause, ou bien si nous pouvions rassembler et organiser les masses ! » Et voilà que nous oublions que la puissance des ministres, des dictateurs et des masses n’est rien comparée à la nôtre ; voilà que nous négligeons l’arme que Dieu nous tend et que ministres, dictateurs et organisateurs de masses ne savent point manier.
Oublierions-nous vraiment que « la prière du juste, – de celui qui est justifié par sa foi en la cause de Dieu, – a une grande efficace » ? L’efficace qui rend toutes choses possibles. L’arme toute-puissante des humbles. Une foi pas plus grosse qu’un « grain de moutarde ».