Un christianisme viril (1930)

Veillez, demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes, fortifiez-vous. Que tout ce que vous faites se fasse avec charité.

1 Corinthiens 16,13-14

On revient toujours à ses premières amours*. Irrité de l’allure molle et efféminée de cette pauvreté qu’on nommait christianisme et dont on défigurait l’image de Christ, j’ai publié dans ma jeunesse une brochure intitulée « Un christianisme viril » qui ne fut pas sans provoquer quelque bruit à l’époque. En ce temps-là, j’étais ou peu s’en faut militariste, et en tous cas fervent d’héroïsme guerrier et d’héroïsme tout court. Je ne pouvais confesser Christ que comme le héros parfait et donc aussi comme la parfaite énergie virile. Disciple de Frédéric Robertson, je savais pourtant dès lors que la féminité parfaite s’était aussi incarnée de certaine manière en Jésus, le fils de l’homme. Sans doute ce qui est efféminé s’oppose à la virilité, mais non ce qui est féminin ; au contraire on ne saurait être authentiquement viril sans quelque élément de féminité. S’il me [146] faut dans cette méditation user du terme de virilité, c’est parce que la langue ne m’en offre pas de meilleur ; mais j’entends désigner une attitude accessible à la femme autant qu’à l’homme, et qui n’a rien à voir avec le sexe auquel on appartient.

Depuis le jour où je lançai ce cri de guerre inspiré d’un militarisme évidemment idéalisé, j’ai parcouru un long chemin. Il m’a conduit, pour un temps, fort loin de tels mots d’ordre et des tentatives qu’ils suscitent. Mais aujourd’hui, et déjà depuis quelque temps, j’y reviens. Car je retrouve maintenant le même danger, et cette fois-ci je l’aperçois en tant que pacifiste. Je dis pacifiste et non antimilitariste, car je n’ai pas seulement en vue le mouvement contre la guerre et l’appareil militaire, mais plus généralement cette tendance, cette manière de penser qui s’oriente avant tout vers la paix. À vrai dire, je crois que ce que j’entends combattre se rencontre particulièrement souvent, et pour son plus grand dommage, dans le mouvement pacifiste entendu au sens restreint d’antimilitarisme.

C’est un fait qu’il existe un certain pacifisme enclin à verser dans la veulerie. On reprochait naguère à l’antimilitarisme de déviriliser ses tenants, chacun sait cela. À le bien prendre, c’est absolument faux. Un antimilitarisme, un pacifisme bien compris constituent au contraire de nos jours la seule opinion et la seule attitude véritablement dignes d’un homme fait, le militarisme étant tout juste un enfantillage. De même, le premier favorise vaillance et héroïsme beaucoup plus que le second. Il y a pourtant une âme de vérité dans ce reproche, et nous ferons bien d’en tenir compte.

Il y a réellement un pacifisme dégénéré, et je reprends le mot dans son sens large. Est-ce opposition à la brutalité que la guerre a révélée, est-ce interprétation erronée du Sermon sur la Montagne comme de l’ensemble de l’Évangile, et mauvaise compréhension de Tolstoï, de Gandhi et du Quakerisme, est-ce l’influence d’une image de Jésus-Christ purement sentimentale, mièvre et dolente ? quoiqu’il en soit, d’aucuns témoignent d’une certaine appréhension dès qu’il est question d’agir avec rudesse, voire même simplement avec vigueur, ou de prononcer le moindre mot d’allure polémique ou seulement passionnée : ce serait, pensent-ils, une atteinte au pacifisme authentique et à l’esprit chrétien.

On se garde bien d’entrer en conflit décidé avec les puissances de mensonge et d’iniquité. Car « lutter » – on semble ignorer totalement ce que signifierait « combattre » ! – n’est ni pacifiste, ni chrétien. Le ciel nous préserve de porter sur choses et gens des appréciations qui pourraient paraître un « jugement » [147] et qui montreraient le mal en eux ! On fait toutes sortes d’embarras pour n’y voir que du bien. À chaque manifestation de ce qui est notoirement condamnable on imagine mille excuses, si ce n’est mille justifications, et l’on se réclame bien entendu de Jésus-Christ, ou bien par exemple de Dostoïevski. On se figure, croyant en cela imiter les Quakers, – sans d’ailleurs avoir la moindre idée de Georges Fox –, qu’en tout mal il ne faut voir que le bien, détournant les yeux du mal lui-même ; et on se comporte souvent ainsi, avec un certain optimisme sentimental. Avant tout, interdiction de se « défendre » ; il ne faut pas résister au mal, il faut tendre l’autre joue, et ainsi de suite. Et tout cela c’est, dit-on, l’amour, l’espérance et la foi, le Sermon sur la Montagne, Jésus-Christ, François d’Assise, Tolstoï, Gandhi, et je ne sais qui ou quoi d’autre encore.

Erreur tout cela et altération de la réalité ! Pour commencer, disons tout de suite que cette attitude n’a aucun droit de se réclamer de Jésus-Christ. C’est là, si on l’entend correctement, – mais en ce cas seulement – un trait du caractère de Jésus ; pas davantage. Et ce trait est lié chez lui à une rigueur, à une rudesse même sans égale. Qu’on lise donc une fois l’Évangile dans cette perspective ; et pas seulement les apostrophes à l’adresse des scribes et des pharisiens, mais aussi le Sermon sur la Montagne. On n’y trouvera rien de l’atmosphère doucereuse de ce faux pacifisme. Là souffle le plus âpre vent des hauteurs ; la vérité y a des accents dignes d’elle. Jamais la charité ne s’y présente sans la vérité. Disons-le en assurance : le doux Jésus du piétisme et de l’ultra-pacifisme constitue un faux, le Jésus réel est la figure la plus virile de toute l’Histoire. Il est, lui seul, l’homme accompli.

Et c’est aussi méconnaître totalement François d’Assise et George Fox, Tolstoï et Gandhi, que de leur prêter ces traits de mièvrerie : St-François était capable de terribles rudesses, Fox n’était que passion dévorante à l’encontre de toute fausseté ou vilenie, peu d’hommes ont manié comme Tolstoï l’épée de l’Esprit, chez Gandhi enfin il est peu de mots que j’estime autant que celui par lequel, invité à déclarer ce qu’il choisirait de la non-violence par lâcheté ou de la bravoure dans la violence s’il n’avait pas d’autre possibilité, il se prononça sans hésitation pour la seconde. Et quant à Dostoïevski il n’est certainement pas non plus un héraut du « tout connaître, c’est tout pardonner* ».

Tout ce pacifisme-là ne constitue nullement une manière supérieure de comprendre et de vivre l’Évangile, mais se borne à en faire un pur sentimentalisme.

[148] Au demeurant, j’ai deux griefs spéciaux à son endroit :

Et d’abord, c’est qu’il conduit le plus souvent à un certain manque de véracité. Cette manière d’être n’est pas naturelle. Bien rares sont ceux chez qui elle est vraiment authentique et il n’est pas dit du tout que ce soient les meilleurs. On peut assurément objecter que ce ne doit justement pas être quelque chose de naturel, et qu’une telle position découle du surnaturel et non de la nature, n’étant point un don de naissance, mais un fruit de la nouvelle naissance. C’est évident. Mais en ce cas je dirai qu’il faut beaucoup pour qu’un homme parvienne à cette attitude, où le « ne pas résister », dans son sens fort et vigoureux, soit mis en pratique avec une sincérité totale, et à cette bonté parfaite qui, – en admettant qu’elle comporte cela, – ne puisse plus prononcer aucune parole rude, ne voie plus partout que le bien, et croie, espère et aime, supporte tout, excuse tout, tourne tout à bien, bref donne corps au Sermon sur la Montagne et au treizième chapitre de la première aux Corinthiens. Pour ma part, je n’ai jamais rencontré un seul homme de ce genre.

Aussi, dans la plupart des cas, l’attitude en question n’est-elle pas tout-à-fait pure : on s’efforce à un comportement que l’état intérieur est impuissant à produire. On dirait d’un manteau sous lequel, à chaque mouvement naturel, le vieil homme apparaît. Si d’aventure les choses se gâtent, si l’hostilité, la calomnie s’en prennent directement à ces ultra-pacifistes, bien vite le manteau tombe et les voilà, tout comme d’autres, enfants de ce monde. Avec une olympienne sérénité ils observent les attaques et l’oppression dont les autres sont victimes, et sont tout prêts à les condamner pour peu qu’ils fassent mine de se défendre ; mais s’ils viennent à être eux-mêmes en cause, ah ! malheur !

Cependant, même abstraction faite des défections personnelles qu’implique semblable comédie, il reste qu’en soi il n’est pas conforme à la vérité de s’acharner à ne voir que le bien en des hommes ou des choses que le mal tient également, et de fermer ainsi les yeux devant la réalité. Ce qui en résulte, c’est un pur illusionnisme qui ne saurait être d’aucun secours au fauteur de mal. Un amour qui se sépare de la vérité est dans l’instant même dépouillé de toute valeur, et de bénédiction se transforme aisément en malédiction.

Jamais, au grand jamais, on n’a le droit de se réclamer dans ce cas-là de Christ et du Sermon sur la Montagne. Non, ce qu’exige Jésus-Christ, c’est avant toutes choses la sincérité, comme lui-même, le Fils de l’Homme, est en toute perfection et du fait même de sa perfection l’homme naturel parfait, qui ne porte point de masque de sainteté, qui tantôt pleure et tantôt sourit, s’indigne et puis se montre plein de cordialité, prononce parfois des paroles cinglantes et d’autres fois parle avec douceur. [149] Certes il est bon, il est magnifique de se tenir sur les hauteurs du Sermon sur la Montagne, si l’on veut bien me passer cette expression, mais quand tel n’est pas le cas, alors il vaut beaucoup mieux ne nous donner que pour ce que nous sommes. Peut-être pourrons-nous ainsi faire quelques progrès par la grâce de Dieu.

Je me trouve maintenant avoir déjà indiqué le second danger de ce faux pacifisme. Formulons-le nettement : il empêche d’assurer la défense légitime du bien, et partant de la paix véritable. La défense du bien ? Mais bien sûr qu’il faut le défendre ! Un disciple de Christ est un combattant, il est engagé dans une guerre véritable, et rude ; il est un témoin, un confesseur. L’héroïsme lui est naturel, si naturel même qu’à ce niveau on n’en parle plus. Mais la position erronée que nous dénonçons rend tout cela impossible. Je ne veux pas faire état de ce que, sous le manteau d’apparat de ce faux pacifisme, toutes sortes de sentiments beaucoup moins reluisants peuvent se dissimuler, tels que lâcheté, recherche de ses aises, égoïsme ; mais j’entends considérer le cas le plus favorable. Même alors on est menacé d’une espèce de ramollissement. On ne prend pas fait et cause pour le bien, sur le point et au moment où il le faut. Et le mal en tire avantage. Il arrive en outre qu’on laisse en plan les combattants fidèles. Et il faut rattacher à cette origine toute une série de défaites graves et lourdes de conséquences subies par les plus saintes causes, et dont le cœur me saigne. Du fait de ce ramollissement, les combattants ont fait défaut au moment où ils eussent au contraire été le plus nécessaires.

De même en ce qui concerne la paix, il ne faut pas espérer y atteindre par ces voies-là : elles ne conduisent qu’à des situations fausses et envenimées où la lutte prend sa plus mauvaise signification. Grande est la vérité de cette parole du prophète, qui sans cesse reprend du sens : « Malheur à ceux qui crient : paix, paix, là où il n’y a pas de paix ! » Il est banal, mais vrai, de dire qu’il n’y a pas de paix sans combat. Bien entendu – et cela aussi est banal –, qui dit combat ne dit pas guerre, dans le sens odieux, de la sorte que nous combattons, guerre en tant qu’œuvre des démons. La bataille à mener, c’est justement notre affaire à nous les « pacifistes », et déjà elle porte en soi la paix.

La vérité est paix. Elle seule. La vérité chasse les démons. Ce n’est pas un quelconque arrangement de « conciliation », ni même une amitié « conciliante » très authentique, mais bien la tranchante inflexibilité de la vérité et de la parole qu’elle inspire qui, à la manière d’un orage de Dieu, débarrassera l’atmosphère de la tension démoniaque où s’énerve le monde d’aujourd’hui. S’il se fait tout doux actuellement, c’est qu’il veut être épargné, ce monde qui ne supporte pas la vérité. Malheur à lui quand elle paraîtra ! Mais il faut qu’elle paraisse. Car cette douceur ne [150] couvre qu’à grand peine le déchaînement des démons. Nous sommes tombés au pouvoir des idoles. Or le culte des idoles est toujours un culte de Moloch, et toujours conduit au désordre, à la destruction, bien loin de toute paix. Dans un air si lourd, il faut de toute nécessité que passe l’inflexible témoignage de la vérité. Lui seul libère les âmes de l’illusion et crée la paix. La palme ne se conquiert que par l’épée. « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée ». « Veillez, demeurez fermes dans la foi (1), soyez des hommes, fortifiez-vous ».

Mais il est dit aussi : « Que tout ce que vous faites se fasse avec charité ». Eh oui, cela va ensemble. De même qu’il n’y a pas de vrai amour sans vérité, de même il n’y a pas de réelle vérité là où manque l’amour. Si l’on veut que le combat de la vérité conduise à la paix, alors qu’aucune espèce d’esprit de violence ou d’égoïsme ne soit à son origine ; que ni l’amertume, l’orgueil ou la dureté de cœur, ni l’esprit de chicane ou le goût des disputes, ni d’impures colères (il y en a de saintes !) ne l’inspirent ; que ce ne soit ni la volonté de faire du mal, ni le malsain plaisir de juger autrui, ni le dessein d’affirmer sa propre supériorité qui lui donnent naissance ; mais qu’il vienne du désir d’aider, de sauver, de faire du bien, qu’il procède de la charité, qu’il tire de l’amour même sa raison d’être.

Ainsi en est-il chez Jésus. Sa vérité vient de son amour. Elle est amour. Et si cette vérité est absolue, c’est parce qu’elle est l’autre face de son absolu amour. Il est le plus viril parce qu’il est aussi le plus féminin, le plus rude parce que le plus tendre. C’est dans la charité que doivent être prononcées toutes les paroles et menés tous les combats de la vérité.

Tout cela est certain. Mais il faut être bien au clair sur la nature et le sens de l’amour. Il y aurait infiniment à dire sur ce point. On mésuse de ce terme d’amour autant que de celui de foi ou de Dieu. Pour cette fois, je voudrais me borner à nouveau à protester contre la manière dont on le réduit à je ne sais quelle veulerie sentimentale. Avec l’usage érotique et sexuel souvent le plus grossier, c’est cet abus-là qui est le plus habituel aux hommes de notre temps. Ils ne voient d’amour que là où règne une certaine bonté molle qui tolère n’importe quoi, quelque chose comme le « pan-humanitarisme » de Dostoïevski, du moins tel qu’ils l’entendent. Dans toute expression claire, ou âpre de la vérité, dans tout combat en vue du bien, ils voient un manque de « bonté compréhensive ». Et cela entraîne encore [151] ceci, qu’ils ne savent plus voir l’amour que sous des formes très particulières, je veux dire sous n’importe quel aspect qui sorte de l’ordinaire, mettons dans le soin des prisonniers à la manière de Mathilda Wrede ou telle autre œuvre de ce genre.

Il va de soi que nous tenons en la plus haute estime Mathilda Wrede et toute activité analogue à la sienne. Mais ce serait une grave erreur que de penser que l’amour ne saurait s’exprimer qu’en de telles formes extraordinaires. Ce sont les dimanches de l’amour. Mais peut-être ses aspects de tous les jours sont-ils encore plus importants pour l’ensemble de la réalité de ce monde. Rien n’est plus faux que de ne considérer comme amour que cette bonté douce, consentante et tolérante. Il y a un amour beaucoup plus grand.

Qu’est-ce donc enfin que l’amour ? Serait-ce réellement un certain sentiment plein de douceur, un pur sentimentalisme ? Que non ! L’amour est bien autre chose, beaucoup plus vaste, plus rude, plus mâle. Je le définirais volontiers comme une alliance, je veux dire comme l’expérience profonde et dominante de notre responsabilité mutuelle et générale à l’égard de toute créature. L’amour est un sentiment puissant et grave de ce qu’en toutes choses nous nous devons les uns aux autres. Cela n’a rien à voir avec la mollesse. Il ne s’agit pas d’embrassement universel. Ce peut être au contraire, au moins en apparence, une grande âpreté, de la rudesse, de la dureté même.

Le devoir de servir les hommes par la vérité ressortit à cette unité et à cette responsabilité. Et je le déclare fermement : c’est de beaucoup le plus grand et le plus difficile des services que l’amour ait à rendre. La bonté amicale n’est rien en comparaison ; elle ne pèse à aucune âme bien née. Mais combattre, mais porter l’épée, mais faire des blessures, alors qu’on aimerait tellement mieux faire sans plus quelque bien immédiatement, être méconnu, entrer en opposition, en lutte même avec ses amis et ses parents, voilà qui constitue l’ultime et suprême démonstration de l’amour.

C’est cet amour-là qui a conduit Jésus à la croix. Et lorsque, crucifié, il cria : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font », ce lui fut chose aisée en comparaison du service qui l’avait contraint à prononcer contre la loi et le temple, les prêtres et les dévôts, le peuple et les autorités, des paroles d’une rigueur à briser toutes relations. Servir ainsi la vérité par pur amour coûte davantage et signifie plus pour le monde que de fonder des institutions et autres œuvres très spéciales qui vous valent d’être chéri et réputé « saint homme » par tout un chacun.

Mais les hommes de notre temps ne sont pas capables d’un tel amour. Ils ont pour cela des délicatesses excessives. Et c’est bien pourquoi ils s’enthousiasment à ce point pour l’aspect [152] sentimental de cette sainte entreprise. Or c’est justement l’autre aspect qui nous est indispensable. Car seul cet amour-là, étant la force suprême du Dieu vivant – d’où viendrait-elle à l’homme sinon de Lui ? – pourra sauver le monde.

Soyez des hommes, veillez, en combattants que vous devez être. Ne laissez pas passer l’heure des combats de Dieu. Ne vous laissez pas endormir par une notion sentimentale de Christ et de sa cause. Demeurez fermes dans la foi, tenez bon. Quoi qu’il arrive, ne désertez pas la cause. Fortifiez-vous, ne soyez pas mous comme chiffes. Ayez en vous l’énergie du bien et soyez pour le servir armés de pied en cap, – des armes de l’Esprit s’entend. Soyez de francs guerriers, et ainsi honorez Christ et créez la paix !

Un christianisme viril ! Il y a des gens qui sont bien près de mettre Bouddha au-dessus de Jésus-Christ à cause de sa plus grande féminité. De quoi se mêlent-ils ? Pour un peu ils feraient reproche à Jésus de ses paroles empreintes d’âpreté. Qu’on me permette cette mauvaise plaisanterie : il n’a pas étudié Dostoïevski, le malheureux ! Et en se comportant ainsi, il a lui-même rendu la croix inévitable. Pour eux, ils se gardent bien de se charger d’une pareille responsabilité ! Mais il en est d’autres plus humbles, qui estiment pourtant que si Jésus avait pleinement le droit de prononcer de si dures paroles pour le service de la vérité, nous ne saurions nous prévaloir, nous, d’un tel droit, n’ayant point son amour. À quoi je réponds : ou bien Christ est en toutes choses notre modèle – naturellement jamais atteint –, ou bien il ne l’est en rien. Or il est notre modèle, et pour ce qui est de la vérité tout autant que pour ce qui est de l’amour. La difficulté est égale, d’un côte comme de l’autre. Et d’ailleurs c’est tout un.

J’en reviens au mot d’ordre de ma jeunesse et je m’y tiens : vaincre le monde et lui donner la paix, seul un Christ viril en viendra à bout.


* En français dans le texte.

(1) Le mot grec « pistis » signifie originellement fidélité, et aussi confiance. Le traduire par foi est en soi parfaitement correct, mais trompe souvent, du fait qu’on prend aisément la foi pour un simple crédo intellectuel.