Douze articles

Le texte ci-dessous provient de « Douze articles » in Maurice Pianzola, Thomas Münzer ou la guerre des paysans, Genève : Éditions Héros-Limite, 2015, pp. 175-184.


[175] Doléance et demande amiable de toute la réunion des paysans, avec leurs prières chrétiennes.
Le tout exposé très brièvement en douze articles principaux.

[177] Au lecteur chrétien, paix et grâce divine par le Christ !

Il y a aujourd’hui beaucoup d’antichrétiens qui prennent occasion des rassemblements de paysans pour blasphémer l’Évangile, disant : que ce sont là les fruits du nouvel Évangile, que personne n’obéisse plus, que chacun se soulève et se cabre, qu’on s’assemble et s’attroupe avec grande violence ; qu’on veuille réformer, chasser les autorités ecclésiastiques et séculières, peut-être même les égorger. À ces jugements pervers et impies, répondent les articles suivants.

D’abord, ils détournent l’opprobre dont on veut couvrir la parole de Dieu ; ensuite, ils disculpent chrétiennement les paysans du reproche de désobéissance et de rébellion.

L’Évangile n’est pas une cause de soulèvement ou de trouble ; c’est une parole qui annonce le Christ, le Messie qui nous était promis ; cette parole et la vie qu’elle enseigne ne sont qu’amour, paix, patience et union. Sachez aussi que tous ceux qui croient en ce Christ seront unis dans l’amour, la paix et la patience. Puisque les articles des paysans, comme on le verra plus clairement ensuite, ne sont pas dirigés à une autre intention que d’entendre l’Évangile, et de vivre en s’y conformant, comment les antichrétiens peuvent-ils nommer l’Évangile une cause de trouble et de désobéissance ? Si les antichrétiens et les ennemis de l’Évangile se dressent contre de telles demandes, ce n’est pas l’Évangile qui en est la cause, c’est le diable, le mortel ennemi de l’Évangile, lequel, par l’incrédulité, a éveillé dans les siens l’espoir d’opprimer et d’effacer la parole de Dieu qui n’est que paix, amour et union.

[178] Il résulte clairement de là que les paysans qui, dans leurs articles, demandent un tel Évangile pour leur doctrine et pour leur vie, ne peuvent être appelés désobéissants ni rebelles. Si Dieu nous appelle et nous presse de vivre selon sa parole, s’il veut nous écouter, qui blâmera la volonté de Dieu, qui pourra s’attaquer à son jugement, et lutter contre ce qu’il lui plaît de faire ? Il a bien entendu les enfants d’Israël qui criaient vers lui, il les a délivrés de la main de Pharaon. Ne peut-il pas encore aujourd’hui sauver les siens ? Oui, il les sauvera, et bientôt ! Lis donc les articles suivants, lecteur chrétien ; lis-les avec soin, et juge.

Article premier

En premier lieu, c’est notre humble demande et prière à nous tous, c’est notre volonté unanime, que désormais nous ayons le pouvoir et le droit d’élire et choisir nous-mêmes un curé ; que nous ayons aussi le pouvoir de le déposer s’il se conduit comme il ne convient point. Le même curé choisi par nous doit nous prêcher clairement le saint Évangile, dans sa pureté, sans aucune addition de précepte ou de commandement humain. Car en nous annonçant toujours la véritable foi, on nous donne occasion de prier Dieu, de lui demander sa grâce, de former en nous cette même véritable foi et de l’y affermir. Si la grâce divine ne se forme point en nous, nous restons toujours chair et sang, et alors nous ne sommes rien de bon. On voit clairement dans l’Écriture que nous ne pouvons arriver à Dieu que par la véritable foi, et parvenir [179] à la béatitude que par sa miséricorde. Il nous faut donc nécessairement un tel guide et pasteur, ainsi qu’il est institué dans l’Écriture.

Article deuxième

En second lieu, puisque la dîme légitime (la grande dîme ou dîme du grain) est établie dans l’Ancien Testament, que le Nouveau a confirmé en tout, nous voulons payer la dîme légitime du grain, toutefois de la manière convenable : comme on doit la donner à Dieu par le truchement des siens, elle revient à un curé qui annonce clairement la parole de Dieu. Nous sommes désormais dans la volonté que les prud’hommes désignés par une commune reçoivent et rassemblent cette dîme ; qu’ils fournissent au curé élu par toute une commune de quoi l’entretenir lui et les siens suffisamment et convenablement après que la commune en aura connu, et ce qui restera, on doit en user pour soulager les pauvres qui se trouvent dans le même village. S’il restait encore quelque chose, on doit le réserver pour les frais de guerre, si le malheur l’exige, afin de délivrer les pauvres gens de l’impôt établi jusqu’ici pour le paiement de ces frais. S’il est arrivé d’un autre côté, qu’un ou plusieurs villages dans le besoin aient vendu leur dîme, celui qui l’a acheté et qui le prouve, n’aura rien à redouter de nous. Nous nous arrangerons avec lui selon les circonstances, afin de l’indemniser au fur et a mesure que nous le pourrons. Mais quant à celui qui, au lieu d’avoir acquis la dîme d’un village par achat, se l’est appropriée de son propre chef, lui ou ses ancêtres, nous ne lui devons rien et nous ne lui donnerons rien. Cette [180] dîme sera employée comme il est dit ci-dessus. Pour ce qui est de la petite dîme (du bétail), nous ne l’acquitterons en aucune façon, car Dieu le Seigneur a créé les animaux pour être librement à l’usage de l’homme. Nous estimons que c’est une dîme illégitime, inventée par les hommes ; c’est pourquoi nous cesserons de la payer.

Article troisième

Pour le troisième, il a été d’usage jusqu’à présent de nous traiter en serfs. Honte et pitié ! Car le Christ nous a tous rachetés par son sang précieux, le pâtre aussi bien que le plus grand seigneur, sans exception. Nous sommes donc libres selon l’Écriture, et nous voulons l’être vraiment. Non pas que nous entendions par ce mot de liberté ne plus reconnaître aucune autorité, ce n’est pas là ce que Dieu nous enseigne : vous vivrez selon la loi et non dans la volonté de la licence charnelle. Vous aimerez Dieu votre Seigneur ; vous l’aimerez dans votre prochain, dans vos frères, et vous leur ferez ce que vous désirez qu’on vous fasse, selon la parole de Dieu dans l’Eucharistie. Nous vivrons selon ces commandements. Montrez et prouvez que ces commandements enseignent de désobéir à l’autorité : nous devons non seulement nous humilier devant nos magistrats, mais devant chacun. Nous obéirons donc aux préposés élus par nous, selon les lois de Dieu, en tout ce qui leur est chrétiennement dû. Nous ne doutons pas non plus qu’en vrais et justes chrétiens vous ne nous affranchissiez du servage, à moins que vous ne nous prouviez par l’Évangile que nous sommes des serfs.

[181] Article quatrième

Pour le quatrième, il a été jusqu’ici défendu au paysan de prendre bête au buisson, poisson dans l’eau courante, oiseau dans l’air ; ce qui nous paraît injuste, égoïste, contraire à la fraternité des hommes et à la parole de Dieu. En certains endroits, on conserve le gibier à nos dépens et à nos dommages, et l’on nous force à voir de sang-froid ces bêtes privées de raison manger et ravager ce que Dieu a bien voulu nous donner en échange de nos labeurs et de nos sueurs. Lorsque Dieu créa l’homme, il lui donna pouvoir sur toutes les bêtes, sur l’oiseau dans l’air aussi bien que sur le poisson dans les eaux. Si donc quelqu’un possède un étang dont il peut prouver l’achat, loin de nous l’idée d’employer la force pour lui ôter son bien. Il faudra, pour l’amour fraternel, avoir des égards chrétiens et s’arranger avec lui. Mais s’il ne peut prouver qu’il l’a acheté, il faudra que l’étang revienne à la commune.

Article cinquième

Pour le cinquième, voici nos doléances par rapport aux bois. Nos seigneurs se sont appropriés de leur propre chef toutes nos forêts et le paysan qui a besoin de bois est forcé de le payer le double de sa valeur. Nous sommes donc d’avis que toutes les forêts de nos seigneurs ecclésiastiques et séculiers n’ayant pas été régulièrement acquises doivent rentrer dans le domaine de la commune. Tout communier doit être libre d’y prendre le bois nécessaire au chauffage et à la construction de sa maison, mais au vu et au su de ceux que la commune a élus à cet effet, afin [182] d’éviter le déboisement des forêts. S’il n’existe pas d’autre bois que celui de forêts qui ont été achetées, on doit racheter celles-ci à l’amiable. Si l’un se les est appropriées par la violence et les a revendues, on s’arrangera avec le dernier acheteur, selon les circonstances, dans un esprit fraternel et selon les commandements de l’Écriture.

Article sixième

Pour le sixième, nous avons amèrement à nous plaindre des corvées qu’on nous impose chaque jour plus nombreuses et plus longues. Nous demandons qu’on nous traite avec plus de compréhension comme du temps de nos ancêtres, selon la parole de Dieu, et qu’on ne nous accable plus si durement.

Article septième

Pour le septième, nous ne voulons plus nous laisser vexer par les travaux que nos seigneurs nous imposent. Quand nous prenons des terres à bail, nous voulons en être maîtres selon les conventions. Toutefois, si le seigneur a besoin de nos bras, le paysan doit travailler pour lui de préférence et lui être fidèle, mais pour un salaire convenable, et aux jours et aux heures où le pauvre paysan peut disposer de son temps et de ses bras sans préjudice pour lui-même.

Article huitième

Pour le huitième, nous nous plaignons que beaucoup de terres soient grevées d’un cens trop élevé. Que les seigneurs acceptent l’arbitrage d’hommes honorables, et [183] qu’ils diminuent le cens selon l’équité, afin que le paysan ne travaille pas en vain, car tout ouvrier a droit à son salaire.

Article neuvième

Pour le neuvième, nous nous plaignons de ce que la justice est rendue avec partialité et qu’on établisse sans cesse de nouvelles dispositions sur les peines. Qu’on ne favorise personne et qu’on s’en tienne aux anciens règlements.

Article dixième

Nos griefs, pour le dixième, portent sur les terres et prairies que certains seigneurs se sont appropriées injustement, et qui doivent retourner à la commune, à moins de preuves d’une vente en ordre.

Article onzième

Pour le onzième, nous voulons que l’impôt à payer en cas de décès soit complètement aboli. Nous ne souffrirons plus qu’on dépouille des veuves et des orphelins, et qu’au mépris de Dieu et de ses lois, on les spolie selon les us et coutumes des seigneurs. Personne ne doit plus rien payer pour le cas de décès, ni beaucoup ni peu.

Article douzième et dernier

Pour le douzième, enfin, nous concluons en déclarant que s’il se trouvait qu’un ou plusieurs des articles qui précèdent soient en opposition avec l’Écriture (ce que nous ne pensons pas et il faudrait donc nous le prouver), nous y renonçons d’avance. Si, au contraire, l’Écriture nous en [184] indiquait encore d’autres sur l’oppression du prochain, nous les réservons et y adhérons dès à présent.

Que la paix du Christ soit avec nous tous !