Extrait du deuxième volume des œuvres de Paul Tillich, Christianisme et socialisme : écrits socialistes allemands, 1919-1931, Labor et Fides, 1992, pp. 353-362.
Pagination de l’édition française entre crochets ; de l’édition allemande entre crochets italique.
Le Socialisme religieux I
Article paru dans Neue Blätter für den Sozialismus en 1930.
Gesammelte Werke, II, p. 151-158
[355] [151] Peu de gens ont une idée claire de ce qu’est le mouvement du socialisme religieux. Cela tient non seulement au nombre relativement petit de ses adeptes, mais aussi à la diversité de ses groupes et de ses interprétations, de même qu’à la difficulté des problèmes auxquels il est confronté. Le socialisme religieux est un mouvement jeune, spécialement en terre allemande. Il ne s’est imposé chez nous qu’après la révolution, alors qu’en Angleterre et surtout en Suisse, il avait déjà depuis longtemps des représentants de marque. Le sol allemand lui était particulièrement défavorable. La religion et le socialisme s’y opposaient de manière apparemment irréconciliable. Une grande partie de la lutte politique menée par la social-démocratie allemande était dirigée contre les Églises et, avant tout, contre les Églises protestantes. Et une grande partie des armes utilisées contre la social-démocratie furent fournies par la religion et l’Église. Dans la prédication et dans la propagande ecclésiastique, il n’était pas rare d’entendre des slogans tel que celui dénonçant les «masses sans Dieu, étrangères à l’Église » ; et dans les rassemblements de la social-démocratie ou dans sa propagande politique, des slogans tel que « le trône et l’autel » étaient non moins fréquents. Le fossé semblait infranchissable. Et cet état d’esprit prévaut aujourd’hui encore dans de nombreux cercles socialistes et ecclésiastiques, notamment ceux de la génération plus âgée. Mais il ne va plus de soi et ne fait plus l’unanimité. Des deux côtés, une génération plus jeune conteste la nécessité et l’inéluctabilité de cette opposition entre religion et socialisme. Elle cherche à comprendre comment on y est arrivé, non pour l’éterniser mais afin de la surmonter. Nous aussi voulons suivre cette voie. Nous nous demanderons d’abord ce qui a contraint la religion et le socialisme à devenir des ennemis mortels. Nous parlerons ensuite de la lutte que mène le socialisme religieux en faveur d’une relation nouvelle entre les deux. Enfin, il sera question de ce que signifie cette lutte pour l’élaboration future de la vie religieuse et sociale.
I
[356] Écoutons d’abord les reproches qu’a formulés la religion à l’encontre du socialisme, puis nous écouterons à l’inverse les reproches [152] formulés par le socialisme contre les Églises et en partie aussi contre la religion. Nous montrerons finalement comment le socialisme religieux a puisé précisément dans ces reproches la force d’indiquer une nouvelle voie.
On peut répartir ces reproches mutuels en deux groupes : le premier s’en prend à la conception du monde de l’adversaire et le second s’en prend à ses conceptions morales. La religion juge la conception du monde de son adversaire comme suit : premièrement, elle reproche au socialisme de tout ramener à la raison humaine et de ne laisser aucune place à la foi en la révélation divine et en l’agir de Dieu dans le monde, deuxièmement, d’avoir une conception matérialiste du monde et, troisièmement, d’orienter son espérance vers l’ici-bas et non vers l’au-delà.
Si l’on se rappelle la naissance et le développement de la social-démocratie allemande au XIXe siècle, on ne pourra certes pas contester les faits auxquels renvoient ces reproches. La philosophie socialiste, dans presque toutes ses tendances, a adopté la philosophie des Lumières. L’homme dépend de lui-même et de sa raison. Les sciences de la nature ont montré que l’on peut ainsi parvenir à des résultats sûrs ; ces résultats sont non seulement théoriques, mais ils permettent également de façonner le monde, de l’aménager pour l’homme. Ici, il n’y a pas de place pour les pouvoirs cachés et insondables de l’au-delà, dont témoigne la religion. Tout ce qui n’est pas élucidable et maîtrisable est récusé. L’histoire elle-même ne fait pas exception. Elle est certes plus complexe que la nature, mais il est possible de la calculer elle aussi. En s’appuyant sur les lois dynamiques de la société, on peut prédire le futur dans une certaine mesure et on peut régler son action en conséquence. On peut veiller à ce que les buts de l’action personnelle ne soient pas contraires aux forces à l’œuvre dans la société, qui s’imposent de toute façon, avec ou sans l’action personnelle. L’une des influences les plus décisives que Marx ait eue sur le socialisme vient de sa prétention de principe à pouvoir calculer et façonner l’avenir du genre humain tout aussi bien que la nature. Il ne semble pas y avoir de place pour une interprétation religieuse du sens de l’histoire. L’Église semble donc être dans son droit lorsqu’elle tourne le dos à cette tentative de l’homme de façonner son destin à partir de ses seules forces.
Cette conviction peut encore être renforcée par le deuxième reproche de l’Église au socialisme : celui d’avoir une conception matérialiste du [357] monde. Non sans raison, là encore. Marx et le marxisme sont en grande partie redevables de leur conception du monde à la philosophie de Feuerbach, cet élève de Hegel qui [153] a mis les conceptions de son maître sur la tête ou, à son propre avis, sur les pieds. Hegel avait dit que Dieu se pense lui-même à travers l’homme ; Feuerbach, lui, dit que l’homme se pense lui-même à travers Dieu. Cela signifie que Dieu est une création du désir humain d’immortalité et de perfection. Seul l’homme est réel, avec ses pulsions naturelles, ses espoirs et ses peurs. Il a créé les dieux à son image. Marx a relayé cette conception d’abord purement bourgeoise en affirmant que ce n’est pas l’homme en général qui crée les dieux et toutes les autres idées, mais l’homme vivant en société. Or, la société est une société de classes. C’est donc son intérêt de classe qui pousse l’homme à créer l’esprit et Dieu. Et Marx se réappropria l’histoire, il élabora sa célèbre interprétation matérialiste de l’histoire, qui fonde la religion et la culture sur la volonté de puissance de la classe. Ce matérialisme ne devint insipide et insupportable qu’à partir du moment où il s’allia au matérialisme de facture très différente d’un Ernst Haeckel et à partir du moment où il entreprit de faire dériver toutes choses, y compris l’homme et l’histoire, du jeu de dés des atomes. C’est malheureusement sous cette forme, et non sous la forme brillante que lui avait donnée Marx, que ce matérialisme pénétra dans les masses et qu’il s’y maintient encore de bien des manières. On comprend que les Églises puissent difficilement passer l’éponge.
À cela s’est ajouté un troisième élément particulièrement important pour comprendre l’attitude du socialisme et ses censeurs religieux. Le but de l’évolution humaine se situe ici-bas. Il n’existe pas de but qui pointe au-delà du monde tel que nous le connaissons. Le royaume de justice, la société sans classes constituent le but ultime de l’évolution humaine, un but qui vaut pour l’individu comme pour la totalité. L’idée religieuse d’un royaume de Dieu dans l’au-delà semble ainsi exclue. Ici encore, donc, il y a combat de la religion et du socialisme, non pas socialisme religieux.
Mais les reproches que formule la religion à l’encontre des conceptions morales du socialisme étaient et sont encore bien plus sévères que ceux touchant sa conception du monde. Ils sont étroitement liés aux points litigieux de la conception du monde. L’homme qui s’en remet à lui-même en vient nécessairement, croit-on, à dissoudre tous les ordres divins. Il devient révolutionnaire et ce, non seulement dans le domaine politique, mais aussi dans les autres sphères de la vie en collectivité, dans les rapports de l’homme et de la femme, des parents et des enfants, des maîtres et [358] des valets. On ne reproche plus sérieusement à la bourgeoisie d’avoir entrepris cette révolution, depuis qu’elle a atteint son but, depuis qu’elle a créé un nouvel ordre [154] qu’à présent elle défend, souvent en recourant à des jugements de valeur religieux. Mais le socialisme révolutionnaire, lui, se voit qualifier de prométhéisme, de combat contre Dieu. — En même temps, la vision matérialiste du monde est conçue comme un matérialisme d’ordre pratique. On reproche au socialisme de promouvoir une façon de penser tournée exclusivement vers les choses matérielles, de détourner les hommes de tout ce qui est élevé et de tout idéal, de les pousser à défendre leurs intérêts les plus bas ; surtout, on lui reproche de maintenir les hommes dans l’ici-bas, de leur retirer l’accès aux ébranlements et aux impulsions résultant de la méditation sur la mort et l’au-delà. — Sur toute la ligne, donc, c’est la lutte : celle de la religion contre le socialisme.
II
L’inverse est tout aussi vrai : à chaque reproche de la religion correspond un reproche de la part du socialisme. Prenons le plus important : le socialisme demande – et en cela il est appuyé par de vastes cercles de la culture bourgeoise – si l’homme peut rebrousser chemin, s’il peut retomber dans des formes de pensée anterieures aux Lumières. L’homme peut-il redevenir primitif ? Et sinon, pourquoi les Églises traînent-elles avec elles tant de choses anciennes, primitives, inaccessibles pour nous ? Y aurait-il à cela des raisons autres que factuelles ? Serait-ce pour maintenir une position de pouvoir ? L’attaque se fait encore plus vive : les Églises, dit-on, combattent le matérialisme socialiste, mais c’est qu’elles sont elles-mêmes idéalistes et de ce fait perdent contact avec la réalité. En annonçant un monde spirituel, divin, et surtout un monde futur, elles distraient de ce que la réalité sociale a d’épouvantable et ne tentent même pas de changer celle-ci. Même si elles viennent en aide à des individus, elles laissent la totalité inchangée. À qui cela profite-t-il ? Manifestement à ceux – ainsi continue l’attaque – qui tirent avantage de la situation présente, c’est-à-dire la classe dominante. Et l’on déduit encore de cela que Dieu et l’esprit sont des idéologies, c’est-à-dire des concepts servant à affermir son propre pouvoir. Les Églises sont suspectées d’idéologie, et si ce soupçon s’avérait, il leur serait mortel. En effet, si la chose qui se présente comme la plus sacrée se révèle être un moyen au service de la volonté de puissance, elle perdra toute sacralité et sera détruite. [359] Naturellement, la prédication de l’Église concernant l’au-delà et sa condamnation de toute révolution sont associées à ce contexte. On y voit un soutien volontaire ou involontaire à la structure actuelle [155] de la société. Celui, en effet, qui trouve son accomplissement dans l’au-delà n’a pas besoin de le chercher ici-bas. Et celui qui sanctifie l’ordre établi n’essaiera pas de s’en prendre à ses représentants terrestres. — Le soupçon d’idéologie est l’arme la plus acérée du socialisme contre l’Église. Personne ne peut contester qu’un grand nombre de faits semblent lui donner raison. En particulier, l’alliance si étroite en Allemagne entre l’État et l’Église, entre certains groupes sociaux ou certains partis et l’Église, entretient sans cesse le soupçon d’idéologie dans la conscience des masses.
Voilà pourquoi le socialisme a voulu avant tout contrecarrer ces alliances et a repris dans le programme d’Erfurt la phrase fameuse : « La religion est une affaire privée. » Mais à vrai dire, cela ne caractérise encore en aucune façon la position intérieure véritable du socialisme à l’égard de la religion des Églises. De tout ce que nous avons dit, il ressort que l’opposition se situe à un niveau beaucoup plus profond que celui où se déroule le combat contre les Églises d’État et les Églises régionales. Par conséquent, cette phrase ne résout pas réellement le problème de la religion et du socialisme. C’est au fond une phrase libérale, et elle n’a à peu près aucune importance quant aux problèmes réels dont s’occupe le socialisme religieux.
III
Nous avons renvoyé dos à dos les reproches et les attaques. C’est dans ce contexte qu’intervient le socialisme religieux. Il tente de montrer que le niveau où se situe le combat n’est pas du tout celui qui importe et qu’au niveau vraiment décisif les choses se présentent tout à fait différemment, qu’ultimement les deux adversaires s’y trouvent liés et dépendent l’un de l’autre.
Comment cela est-il possible ? Examinons les points litigieux. La religion reproche au socialisme d’inciter l’homme à ne prendre appui que sur ses propres forces. Or dans la religion aussi il existe un moment où l’homme s’appuie entièrement sur lui-même. Personne, pas même l’Église catholique, ne peut nier que l’homme est responsable de lui-même face à Dieu. Au bout du compte, l’homme décide seul de son destin éternel. En outre, le protestantisme en appelle à la conscience de l’individu comme instance ultime pouvant être décisive pour lui ; nous y trouvons [360] aussi une protestation permanente contre toute tentative de l’Église pour s’ériger en juge de la vérité. Voilà pourquoi c’est surtout en sol protestant qu’a pu s’élaborer un humanisme chrétien, dans lequel la culture moderne [156] a puisé ses forces les plus vives. À l’inverse, le socialisme ne reconnaît pas seulement l’individu s’appuyant sur ses propres forces : on y trouve aussi affirmé un destin historique et on y trouve des pouvoirs sociaux qui, même contre notre gré, déterminent tout notre agir. Sans recourir à ce mot, le socialisme croit néanmoins en une providence qui par l’agir de l’homme mènera à une réalisation future des espérances humaines. Certes, il se représente cet accomplissement à l’intérieur du temps et de l’histoire ; mais la passion intérieure avec laquelle il tend vers ce but, son dévouement qui va jusqu’au don de la vie, sa constance malgré toutes les désillusions, tout cela démontre clairement que nous avons affaire ici à quelque chose de plus grand que ce qu’en disent les concepts. Les concepts sont problématiques, mais la chose est vraie et empreinte de force religieuse. — L’espérance de la religion en l’au-delà contredit-elle vraiment cela ? Ce ne serait le cas que si, comme le croit actuellement un très grand nombre d’hommes religieux, l’au-delà n’était que le lieu auxquels ils espèrent en tant qu’individus. Mais l’espérance chrétienne originelle en l’au-delà est tout à fait différente ; elle est espérance en la venue du royaume de Dieu sur la terre, elle est espérance en la transformation du monde, de l’humanité, des peuples. Et elle réclame que l’on travaille à cette transformation, d’abord dans la communauté, puis aussi à l’extérieur. Il est vrai que les symboles de la religion ont une autre résonance que ceux du socialisme. Mais au niveau ultime, il ne subsiste pas d’opposition.
Cette opposition ne vaut pas même en ce qui concerne le problème du matérialisme. Certes, la religion doit rejeter ce matérialisme médiocre et sans esprit que nous avons décrit plus haut. Mais toutes les tendances de la philosophie et toutes les formes de la vie de l’esprit l’ont non moins résolument rejeté et ce, depuis longtemps. Quant au matérialisme non vulgaire, celui de Feuerbach et de Marx, il a de profondes racines dans le jugement chrétien sur l’homme. Parce que la religion connaît les âmes, elle n’a jamais ignoré que la nature humaine est corrompue, que les pulsions et la volonté de puissance pénètrent les choses de l’esprit même les plus élevées ; et Luther a explicitement mis en garde contre le Dieu fait de main d’homme, un Dieu qui n’est que l’expression de nos désirs, une idole et une vue de l’esprit. La religion porte constamment en elle le soupçon idéologique. L’Église devrait être reconnaissante à Feuerbach et à Marx d’avoir puissamment rappelé ce soupçon. Leur geste n’est pas hostile à la [361] religion, c’est même un geste religieux, bien que là encore les formules et les concepts paraissent différents. Et inversement, l’Église elle-même montre bien par sa charité qu’elle considère la situation matérielle de l’homme comme essentielle pour le comportement de ce dernier. La vraie religion n’a jamais scindé l’homme en un corps [157] et en une âme, elle n’a jamais voulu sauver la seule âme en laissant dépérir le corps. Il y a certes des moments, dans la religion et le socialisme, où le corporel doit être sacrifié au profit du sens même de la vie. Mais néanmoins la religion sait elle aussi que l’homme est une unité. Et le socialisme religieux est justifié d’en appeler à ce fait et d’affirmer que la situation actuelle du prolétariat connaît une détresse matérielle telle que la vie y perd nécessairement son sens. Lorsque des prolétaires se confient, dans l’immense majorité des cas on entend l’aveu d’une vie dont le sens s’est brisé, l’aveu d’un sentiment de total désespoir, de totale exclusion et de totale insécurité face à la vie ; pour le constater, il suffit de s’entretenir avec un prolétaire qui a réfléchi sur sa propre situation. Il est criminel de taxer de matérialisme un homme qui toute sa vie en est réduit à ce qu’il y a de plus élémentaire : subsister, et qui est tellement occupé à lutter pour survivre qu’il ne reste plus en lui de place pour autre chose.
Le socialisme religieux est d’avis que l’Église doit comprendre cette situation du prolétariat et qu’elle doit y trouver la force de combattre un ordre social qui prive sans cesse et nécessairement des millions et des millions d’êtres d’un sens à leur vie, d’une vie pleinement humaine. Le socialisme religieux croit qu’un tel ordre social est démonique, dominé par des puissances destructrices de vie, contraires au sens. Et il incombe à la religion de dévoiler, à la suite des prophètes, le démonisme de ces rapports, contribuant ainsi à le surmonter ; ce faisant, elle n’a pas à avoir honte d’user de certaines paroles de Marx comme expression de l’antique esprit prophétique, même si là encore les concepts sont tout à fait différents.
Avec cela devient caduque l’opposition des conceptions éthiques, l’opposition de l’attitude révolutionnaire et de l’attitude religieuse conservatrice. Aussi longtemps que la religion fut vivante, elle a révolutionné le monde, elle a contribué à briser des ordres sociaux et à en créer de nouveaux. Ce qu’elle a défendu et sauvegardé, c’est l’ordre en tant que tel, non pas un ordre déterminé, une structure sociale particulière ou une classe dominante. Paul lui-même, lorsqu’il parle de la nécessité de se soumettre à l’autorité, ne veut que protéger l’ordre en tant que tel, que menaçait le fanatisme religieux. Il ne veut pas défendre une constitution déterminée. De cela il n’avait cure, vu l’époque et la situation où il se [362] trouvait. Là où la religion s’est faite la servante des classes dominantes, elle a cessé d’être religion, elle est devenue une profanation démonique du sacré. Et là où le socialisme a combattu pareille profanation, il a pris le relais de l’authentique tradition prophétique dans la religion. C’est pourquoi [158] des hommes tels que les Blumhardt au Würtemberg, ou Kutter et Ragaz en Suisse, ont eu raison d’affirmer qu’à certaines époques, le divin s’est trouvé davantage dans la social-démocratie, apparemment hostile à la religion et à l’Église, que dans la religion telle que représentée officiellement par l’Église. Voilà une amende honorable dure et radicale adressée à la religion par la religion elle-même, adressée à l’Église réelle au nom de la foi en l’Église authentique.
Naturellement, tout cela ne cautionne pas le socialisme tel qu’il existe. Le socialisme religieux met autant de zèle à combattre ce qui dans le socialisme est vide, sans esprit et superficiel, qu’il en met à combattre le démonique dans l’Église. C’est seulement parce qu’il peut être critique envers le socialisme et la religion qu’il peut reconnaître leur relation profonde et leur unité. Il est d’avis que les deux en sont arrivés au moment d’accéder à leur profondeur propre. Il ne croit pas qu’il existe une religion ou un socialisme définitif, mais il estime que les deux sont en voie de transformation et qu’actuellement, dans notre situation sociale et sur le sol spirituel de l’Occident, ils s’appartiennent l’un l’autre. Non pas peut-être pour toujours, mais assez de temps en tout cas pour que soit réalisée la tâche qui nous incombe, à nous et à notre temps : créer une nouvelle société remplie de sens, où chaque groupe et chaque individu puisse trouver le sens de sa vie, et où les démonismes actuels soient abolis – sans que pour autant advienne la fin de l’histoire. Aussi longtemps que l’histoire se poursuit, de nouveaux problèmes et de nouveaux démonismes aussi surgiront. L’éternel, le parfait ne se réalise jamais entièrement dans le temps, mais il y fait irruption et y crée du nouveau. Et c’est pour ce nouveau, exigé de notre époque par l’éternel, que lutte le socialisme religieux.