Edmond Grin, Jean-Christophe Blumhardt et son fils, Labor et Fides, 1952, pp. 191-207
[191] La pensée religieuse
de Christophe Blumhardt (1)
Si l’on veut exposer les idées religieuses de Blumhardt fils – d’autres l’ont dit avant nous – il faut partir de la notion de Royaume de Dieu.
La Bible, on l’oublie par trop, n’apporte pas un certain nombre d’idées sur Dieu, sur le péché, sur la rédemption. Elle met en face d’une personne : le Christ. En lui le Royaume de Dieu s’incarne, parce que toujours la vérité divine prend corps dans une personnalité. [192] « Jésus s’avance vers nous, et avec lui apparaît une autre vie, une autre patrie, une éternité qui pénètre dans notre monde passager. » Il est lui-même le Royaume parce qu’il est Dieu agissant au milieu des hommes, mieux même : Dieu en nous. Par sa seule présence il nous dit : « Dieu est avec moi ; et nous, nous pouvons et devons en conclure : donc Dieu peut être avec nous, habiter en nous. »
L’homme.
Dieu en nous… Tout être humain n’est-il pas foncièrement mauvais ?
Blumhardt ne le croit pas. Les Pharisiens l’ont prétendu. Le Fils de l’homme, lui, ne l’a jamais pensé : il est venu pour sauver, non pour condamner.
Quelle erreur de dresser, l’un en face de l’autre, le Dieu Père qui aime, et le Dieu Créateur ! Le Dieu d’amour se manifeste déjà dans la création, qui est à sa manière une déclaration de guerre à un ennemi : le mal. L’appel du monde à l’existence, un premier coup porté à la puissance des ténèbres, du chaos. La création dans son ensemble est donc déjà pour Blumhardt un acte de rédemption. Et quand Dieu fait l’homme à son image, Il se borne à poursuivre l’action commencée, avec un élan nouveau. Son intention : manifester sa vie divine dans la personnalité humaine ; [193] s’incarner dans un être qui, seul, pourra régner sur l’univers.
Pourtant cet être à l’image de Dieu est aussi « l’anneau fragile de la chaîne ». La puissance des ténèbres qui, un temps, a possédé la terre, et d’après la Genèse n’a été que refoulée, guette le moment propice pour attaquer et terrasser les premiers humains. Selon le plan divin il faut, en Éden, une rencontre entre Adam et le mal, qui doit être vaincu exclusivement par l’homme.
Si le couple originel avait accepté sa condition et obéi à Dieu, il aurait pu connaître – et ses descendants après lui – la vie éternelle. Mais il s’est dressé contre son créateur, et les conséquences ne se sont pas fait attendre. L’homme a perdu la protection paternelle qui l’enveloppait. Il est soumis à la mort, afin de ne pas propager le péché sans aucune limite…
Toutefois, en l’appelant à la vie, Dieu s’est comme enchaîné à sa créature. Malgré tout Il la laisse à la tête de la création et lui conserve Sa fidélité. L’homme a aliéné sa liberté, il n’a pas perdu sa vocation. À travers la chute il demeure enfant de Dieu. C’est là son titre de noblesse que le péché ne saurait lui arracher. S’il en allait autrement, si nous n’étions plus de la race divine, le Fils de Dieu n’aurait pas pu venir à nous dans un sentiment d’authentique fraternité ! La certitude de sa parenté avec l’auteur de toutes choses interdit à l’homme de se mépriser lui-même, comme [194] aussi de dénigrer le monde : il est l’œuvre de Dieu, la Bible le proclame : « Louez le Seigneur, vous toutes les créatures ! Louez-le, vous les arbres, les animaux, la terre, la nue, les montagnes ! Louez-le d’un commun accord ! »
Optimisme facile ? Blumhardt ferme-t-il les yeux sur les misères de notre monde ? Certes pas ! Mais, comme tant d’autres, le pasteur de Boll s’avoue impuissant en face du problème du mal et se replie sur une solution d’ordre pratique. Puisque Dieu a créé ce monde, tu dois, si tu es chrétien, l’embrasser de ton amour, comme le Père le porte dans son cœur, et comme le Fils l’a porté lui aussi.
Elle est émouvante la page dans laquelle Christophe fait parler Dieu au moment où Il envoie Jésus ici-bas : « Aime-le, ce monde qui m’est si cher ! Tu y subiras mille avanies, jusqu’à être cloué sur une croix ; pourtant n’abandonne rien de ton amour pour lui. C’est moi qui l’ai créé, c’est moi qui suis son père, et cette paternité je ne la renierai jamais… Va ! Aime, ne juge pas ! Comment l’univers a été plongé dans les ténèbres, peu l’importe ! Sois seulement mon Fils, le fils de Celui qui soutient toutes choses par son amour ! »
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On ne sera pas surpris de découvrir, chez une nature aussi riche que celle du prophète [195] de Boll, des affirmations religieuses assez divergentes. Tout à l’heure la présence du mal dans le monde s’expliquait par une sorte de dualisme, d’antagonisme entre Satan et Dieu. — Dans la dernière période apparaît plutôt un évolutionnisme : La création dont parle la Genèse n’était pas achevée. Tout y était « bon » sans doute, mais en fonction de l’évolution qui devait venir, long processus qui, à travers des douleurs constantes, doit conduire ce monde et les hommes à la gloire.
C’est dire que le péché n’est pas partie intégrante de la nature humaine. Aux yeux de Blumhardt, il est avant tout égarement, erreur de jugement, perte du sentiment de la présence divine. L’homme s’est éloigné de Dieu, qui l’a laissé partir. Jamais pourtant le Père n’abandonne son enfant. Il le suit de son amour, Il l’attend, prêt toujours à l’accueillir, une fois parcouru le cycle des « expériences nécessaires » qui ramènent à Lui.
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Si Blumhardt n’atténue en rien la gravité du péché, il n’a cependant pas, du monde, une vision aussi sombre que celle de l’apôtre Paul. Sans jamais envisager le mal comme le principe du progrès, il affirme que Dieu s’en sert pour parfaire son œuvre.
On le comprend dès lors, selon l’homme de Boll, il y a en toute âme humaine un [196] germe divin. Le sentiment religieux n’est-il pas universel ? Un Socrate, un Platon, un Aristote ont été, à leur manière et relativement aux besoins de leur époque, des sortes de prophètes. Pour autant, la valeur unique des héros de la Bible et celle de la religion d’Israël n’est pas atteinte. La nation juive n’est pas comme une autre ; c’est le seul peuple dont l’histoire soit « sainte » parce qu’elle est l’histoire de Dieu : l’histoire d’un groupement humain appelé à se mettre à l’entière disposition du Créateur pour l’aider à achever son œuvre. Il est donc juste de parler de peuple élu.
Le Christ.
« Bien que souillé de boue, un diamant ne cesse d’être pierre précieuse. Mais pour étinceler, il a besoin d’être nettoyé, puis exposé à la lumière. De même des êtres humains : ils doivent être en rapport avec Dieu pour que leur vraie nature montre son éclat. »
Le but essentiel de la venue du Christ : rétablir la relation entre l’homme et son Père. En lui, Dieu est pleinement présent. À Noël – fait inouï – le Tout-Puissant a bien voulu transférer son trône sur cette terre.
Jésus de Nazareth, avant tout un génie humain, social. Son humanité est bien réelle : au point qu’il est, lui, le seul homme véritable, sans péché, sans tare. Pleinement libéré [197] à cet égard, il est le « répondant » parfait de Dieu sur la terre, le vivant par excellence, alors que la plupart des hommes ne vivent pas, empêtrés qu’ils sont dans leur misère morale. Mais le Seigneur n’est pas une sorte de tableau placé devant nos yeux. Chacune de ses actions : prêcher, guérir, souffrir, mourir sur la croix exprime son amour, qui confond le péché. Son cœur est si grand, il s’unit tellement à notre détresse qu’il devient un avec nous et risque même de « perdre Dieu ». De là les paroles souvent incomprises, tombées de sa bouche au Calvaire : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Jésus a pratiqué l’amour fraternel : il ne pouvait autrement. L’amour est sa nature même. Sa personne tout entière nous crie : « Chacun est aimé, le monde entier est aimé ! » Avec lui nous sommes au cœur même de l’univers.
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Le prophète de Nazareth est beaucoup plus qu’un fondateur de religion : un dispensateur de vie. Sa tâche sainte, son but : faire rayonner la flamme qui est en lui, et par là créer des hommes nouveaux. En ce sens, il met un terme à la création. Il greffe en nous comme un nouvel œil, nous rendant ainsi la juste vision de la terre et du ciel. Loin d’abolir l’ordre naturel, ses miracles le restaurent. « La nature accepte de se subordonner à l’homme [198] parfait, parce que la véritable destination de la nature est de servir l’homme, et la vraie destination de l’homme de dominer le monde naturel. »
Plus encore que le joug de la nature, l’être humain sent peser sur lui le poids du péché. Jésus libère de ce fardeau en offrant le pardon divin. La justification n’est pas avant tout un acquittement ; pas davantage une bienveillance fermant les yeux sur l’état réel des pécheurs que nous sommes tous. C’est la mise en lumière de la valeur éternelle de l’homme, créature divine. Chacun des pardons accordés par le Christ, une affirmation catégorique du lien qui rattache l’homme à son Dieu.
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La foi n’est ni une donnée intellectuelle ni un élément juridique. Elle est une nouvelle existence. Croire c’est vivre : ou bien refléter candidement l’image du ciel ; ou bien lutter chaque jour pour se conformer à la volonté du Créateur. — La sanctification est chose des plus simples : par essence la vie est créatrice. Si je la possède, grâce à Jésus-Christ tout mon être intérieur se développe. Les plantes le savent, elles qui s’épanouissent au retour du printemps. N’ont-elles pas l’air de nous dire : « Voyez quelle foi nous avons » ?
Se sanctifier c’est aussi suivre Jésus. Pas l’imiter, comme on l’a voulu trop souvent : on fait alors de lui un modèle, un homme-type, [199] un homme-patron, ce qu’il n’est en aucun cas. Le suivre, c’est le chercher là où il a vécu, afin que sa puissance d’amour et d’espérance devienne nôtre. Le suivre même sur la croix, point culminant de sa solidarité avec les hommes et avec le monde entier.
L’union avec Jésus constitue à proprement parler une révélation. Le terme convient parce que cet événement – qui est une grâce – nous apporte toutes les clartés nécessaires. Dès lors, notre foi est la contemplation silencieuse de la vie du Sauveur. Nous ne sommes plus à nous-mêmes, mais à lui. Nous ne le suivons plus, nous le « sommes ». « Devenir Jésus », c’est-à-dire des hommes dans lesquels il vit, telle est notre tâche de chrétien.
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À propos de l’œuvre rédemptrice, Blumhardt émet des considérations neuves et profondes, bien que pas toujours authentiquement bibliques. À ses yeux il n’y a ni rachat ni propitiation, ni diable ni enfer. Nous sommes sauvés par une sorte de « transfusion de vie » qui s’est opérée à Golgotha. La croix ne condamne pas, elle convainc. En face d’elle comment persévérer dans le péché, à l’ouïe de cette requête formulée en faveur des criminels les plus odieux : « Pardonne-leur, ils ne savent ce qu’ils font » ? Le Dieu courroucé, le Dieu [200] qui se met en colère n’existe pas. Il n’y a que le Dieu Père, usant d’une seule arme : le pardon.
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La résurrection occupe une grande place dans ce message. Elle ne constitue pas un moment particulier de la vie de Jésus. Tout ce qui survient dans cette existence unique est en rapport étroit avec l’ensemble de la création. N’est-il pas l’homme parfait, souverainement maître de la nature ? C’est pourquoi le monde tout entier repose sur la puissance de la résurrection. Par là sont dévoilées les possibilités de vie – infinies – qui nous sont données en Jésus-Christ. La mort n’a aucun droit sur l’homme ; elle ne détruit donc pas notre corps ; elle opère une transfiguration de tout notre être. Aussi ce corps qui ressuscitera un jour doit-il être grandement respecté.
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Le salut est pour tous. Si les méchants sont condamnés, ils ne le sont pas de façon définitive. Ils attendront des siècles, peut-être, mais leur tour viendra. Personne ne saurait être exclu à jamais par un Dieu d’amour et qui nous a donné un gage aussi sûr que la résurrection du Sauveur.
Depuis l’Ascension, nous avons au ciel un ambassadeur fidèle. Jésus, pourtant, n’est pas [201] venu ici-bas pour ensuite nous quitter, mais au contraire pour rester auprès de nous. Certes il est « monté » auprès du Père ; mais nous ne devons jamais le chercher « hors du monde ». À Golgotha il n’a pas donné un « coup de pied » à cette misérable terre qui le repoussait. Sa pleine communion avec Dieu faisait de la terre le ciel même. En sorte que, pour nous, le Christ ressuscité est toujours ici-bas. « Je ne veux pas de votre fidélité éthérée. Mon ciel à moi se trouve là où Jésus a donné sa vie. Si vous ne le croyez pas, si vous faites de ce monde une vallée de larmes, vous ne possédez rien de plus que les païens, et Jésus est définitivement mort ! »
La résurrection de Pâques, au gré de beaucoup, permet surtout de mourir en paix. Blumhardt y voit davantage : le Christ sorti du tombeau agit aujourd’hui encore sur la terre. Il veut y former des hommes véritables, engagés au service de Dieu et luttant sans relâche pour la vérité, la justice et l’amour. Car la promesse de vie ne s’adresse pas à quelques-uns seulement, mais à toute l’humanité.
Le Royaume de Dieu.
Par cette expression qui lui est chère, Christophe désigne tout ce que Dieu a fait pour établir Son règne dans le monde. Sur ce point il y a une notable différence entre Ancien et Nouveau Testaments. À l’époque d’Israël, le [202] Royaume était en somme purement céleste et Dieu ne parlait qu’à quelques rares élus. Depuis la venue du Christ, tout a changé. Le Royaume est à la fois d’en-haut et d’en-bas, céleste et terrestre. C’est le règne de Dieu dans ce monde. Sa loi est celle de l’évolution. Il n’est pas difficile de constater, tout le long de l’histoire, des poussées de l’esprit du Christ : l’esclavage a disparu ; le pacifisme gagne du terrain ; les peuples se rapprochent ; les conditions d’existence du prolétariat, longtemps lamentables, sont devenues plus humaines. Tous ces progrès, on les doit au levain de l’Évangile. Toutefois ne nous laissons pas leurrer par les « triomphes de la civilisation ». Chaque progrès culturel se paie du sacrifice de bien des vies, car l’égoïsme est tragiquement fort, et l’homme est un véritable tigre pour son prochain.
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Sans être identiques, Royaume de Dieu et évolution humaine connaissent d’incontestables rapports : Dieu se sert du mal que l’homme commet pour amener quelque bien. Par exemple, Il a utilisé la révolution française, qui n’a rien de particulièrement édifiant, pour remuer les consciences. Aujourd’hui Il fait usage de l’esprit révolutionnaire du socialisme. Comme le monde de la création est un, tout progrès scientifique, technique ou matériel contribue peu ou prou à l’avancement du Royaume, [203] même si l’homme commence par faire de sa découverte un instrument d’iniquité. En présence de ces déviations sans cesse répétées, Dieu, qui respecte la liberté de ses créatures, attend sans impatience. Il le sait, la liberté humaine est une conquête, jamais un cadeau reçu sans effort. En somme, l’évolution du Royaume s’opère en secret, car Dieu est comme caché derrière les grands bouleversements de l’histoire. Le vrai support du Royaume ici-bas : une élite d’âmes simples et conscientes de leur pauvreté spirituelle. De ces hommes-là, le Maître de l’univers fait le sel de la terre et la lumière du monde. Leur tâche est une et double : agir, mais en attendant tout de Dieu ; attendre, mais d’une obéissance active.
Les moyens d’action du Dieu vivant : la Parole et l’Église.
La parole est le moyen par lequel le Dieu-Esprit entre en relations avec l’homme. Marquée d’un caractère hautement personnel, la parole divine s’est incarnée d’abord dans la personne des prophètes, ensuite de façon parfaite en Jésus-Christ.
Est-ce à dire que, depuis l’Ascension, l’ère de la révélation soit définitivement close ? Blumhardt ne peut l’admettre. Si cette révélation est une source de vie, divine, pour quelle raison [204] cesserait-elle de jaillir ? Elle se prolonge dans le passé par l’Ancien Testament ; pourquoi pas aussi dans l’avenir ? Les disciples et les apôtres n’ont pas bénéficié de la connaissance de tous les mystères célestes. Le moment viendra peut-être où Dieu nous trouvera assez mûrs pour nous communiquer de nouveaux messages. Il n’attend sans doute qu’une chose : que nous soyons prêts à entendre Son appel.
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La faute impardonnable de la chrétienté évangélique est d’avoir déifié la Bible. On ne saurait trop louer Dieu de nous avoir donné ce livre incomparable. Mais encore faut-il en faire un bon usage ! La seule véritable Bible : Jésus Christ. Il ne s’agit donc pas d’enseigner conformément aux Écritures, mais d’obéir à Dieu dans le moment.
Saint Pierre, Calvin, Luther, les Méthodistes, les Moraves ont tous présenté la vérité chrétienne de façon différente. Comme quoi la science des « scribes » n’a rien à voir avec le commerce du Dieu vivant. Tous les prophètes, et Jésus plus qu’aucun d’eux, se sont libérés de certains liens. Des hommes pleinement affranchis, indépendants de toute théologie humaine, ont exactement la même valeur spirituelle que l’Écriture sainte. « Peu me chaut la Bible ! J’ai le droit de m’exprimer ainsi parce que je la porte tout entière dans [205] mon cœur et que chaque goutte de mon sang en est nourrie… Je n’ai pas à me soumettre à une lettre de Paul ou de Pierre, mais seulement au Tout-Puissant et au Seigneur Jésus-Christ. »
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Blumhardt ne conteste donc pas un instant l’autorité particulière, divine du recueil sacré. Mais il ne veut pas que la lettre de ce livre barre la route à la révélation du Dieu vivant. La Bible, un chemin qui nous conduit à Dieu, pas autre chose ! On a grand tort d’en faire un but. Constatation paradoxale : plus nous nous laissons façonner par la Bible, plus nous nous découvrons libre à son égard.
L’autorité unique de l’Écriture ? En elle je me sens interpellé par Dieu, sans possibilité de me dérober. Mais le témoignage du Saint-Esprit est indispensable pour que les mots du texte me deviennent Parole divine. Ce témoignage est comme un ange du ciel qui transforme les expressions écrites, figées, en aliment vivant pour mon cœur. En aucun cas pourtant nous ne pouvons enfermer l’action du Saint-Esprit dans les limites étroites des deux Testaments. Ce serait laisser entendre qu’il faut chercher la révélation divine dans le seul passé. Chaque homme de Dieu, chaque prophète a perçu un message direct, qui lui a permis de proclamer quelle est aujourd’hui la [206] volonté du Seigneur. Sans une révélation actuelle, impossible de savoir ce que Dieu attend de nous dans le moment présent.
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Il y a des époques où le Créateur de toutes choses garde le silence. Il en sait la raison, c’est encore une façon de régner. Dans un sermon sur le texte Matthieu 8,24 : « Lui, Jésus, il dormait », Blumhardt reproche aux disciples d’avoir réveillé leur maître. Assoupi, il travaillait encore, et combien ! Au cours de l’histoire de l’Église le Christ dort fréquemment, et même longtemps. Mais, loin d’être oisif pour cela, il œuvre à notre insu, de manière profonde, suscitant chez les hommes la faim et la soif de la vérité.
Cette certitude, toute proche de celle de son père, amène Christophe à dire : Confiance ! Même dans les temps les plus sombres, attends, espère ! Le Royaume progresse. Christ a vaincu, donc Il vaincra !
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Il y a néanmoins une différence sur ce point entre les deux directeurs de Bad-Boll. Le second accentue la responsabilité humaine en ce qui concerne le Royaume. Là où le père disait : œuvre de Satan, effort des démons, le fils déclare : faute de l’homme. Dans la dernière partie de sa vie il souligne avec force [207] l’importance de l’Église. Pour n’être qu’une lampe éclairant notre nuit, elle nous est indispensable. Nous ne sommes pas purs esprits ; les formes extérieures nous sont donc nécessaires. Au reste, parce qu’Il l’a voulu, le Christ est comme lié à sa communauté. N’a-t-il pas dit : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » ? Pourtant il ne s’agit pas de l’Église établie, mais de la communauté invisible qui seule est l’Église de Dieu.
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Une transformation, à en croire Blumhardt, est capable de redonner à l’Église sa vigueur spirituelle, sa puissance : la remise en honneur du sacerdoce universel ; c’est-à-dire le témoignage vivant de chaque fidèle. La théologie devient donc essentiellement une discipline pratique. On ne s’étonne plus, dès lors, que Christophe soit descendu un temps dans l’arène politique. À ses yeux, la théologie chrétienne est, par excellence, science de l’action.
(1) Voir nos remarques concernant le premier appendice, première partie, pages 122 et 141. [Note Voix rouges : on y trouve la référence que nous précisons en note ci-dessous ; un « avertissement » quant au fait que ce chapitre est destiné « au lecteur que ne rebute pas la réflexion religieuse » ; et une précision quant au fait que l’auteur s’interdit de rentrer dans une critique de la pensée de Blumhardt père et fils.]
Nous avons utilisé pour notre exposé, outre la thèse de M. P. Scherding déjà citée (p. 122, note 1 [Note Voix rouges : cf. thèse de licence en théologie de M. Pierre Scherding, maître de conférences à l’Université de Strasbourg : « Christophe Blumhardt et son père, essai sur un mouvement de réalisme chrétien », Paris, F. Alcan, 1937]), les 4 volumes du pasteur R. Lejeune, de Zurich : « Christoph Blumhardt, Predigten ù. Andachten », Rotapfel-Verlag, Erlenbach, Zurich et Leipzig.