N’abandonnez pas votre assurance, à laquelle est attachée une grande rémunération. Car vous avez besoin de persévérance, afin qu’après avoir accompli la volonté dé Dieu, vous obteniez ce qui vous est promis. Encore un peu, un peu de temps : celui qui doit venir viendra, et il ne tardera pas. Et mon juste vivra par la foi ; mais, s’il se retire, mon âme ne prend pas plaisir en lui. Nous, nous ne sommes pas de ceux qui se retirent pour se perdre, mais de ceux qui ont la foi pour sauver leur âme.
Hébreux 10,35-39
La situation présente semble se rire de toute espérance dans la victoire du bien et de la justice, comme de tout effort y tendant. Elle met dès aujourd’hui, et demain peut-être mettra plus encore, à rude épreuve l’attitude de quiconque croit au Royaume de Dieu et à sa Justice. Notre propre vie est lourde de difficultés et de détresses. Aussi sommes-nous sans cesse replacés dans la nécessité de raffermir notre confiance et celle des autres.
Quoi de plus nécessaire aujourd’hui que la confiance ? Ayez de l’assurance, vous êtes forts ; n’en ayez point, vous êtes perdus. Confiant, on peut travailler, lutter, souffrir ; sans confiance on est paralysé. Joyeux et tranquille dans la ferme attente de l’avenir, on est, dans l’incertitude, sombre et inquiet.
Comment créer la confiance ? N’est-elle pas une sorte de don ? Peut-on y pousser les autres, s’y exhorter soi-même ? À nos encouragements, la confiance justement répondra-t-elle ? Y a-t-il encore quoi que ce soit à quoi on puisse s’attacher ? Est-ce que nous ne l’avons pas déjà trop prêchée, la confiance ?
Tandis que, craintifs et embarrassés, nous agitons ces pensées, voici que nous vient à l’esprit une de ces magnifiques paroles qui illuminent et orientent comme un mot d’ordre venu de Dieu : « N’abandonnez pas votre assurance, à laquelle est attachée une grande rémunération ».
Chose remarquable, on ne nous exhorte pas à faire confiance, créant notre assurance de toutes pièces, mais tout simplement à ne pas l’abandonner. On suppose donc que déjà nous possédons cette assurance, et on nous exhorte sans autre à y faire confiance, c’est-à-dire à lui rester fidèles et à lui obéir, en somme à ne pas la dédaigner, mais plutôt à suivre cette lumière d’un pas ferme et tranquille.
C’est là, je crois, une grande vérité et une vue profonde. Cette confiance, nous la possédons au fond de nous-mêmes, et il n’est plus que de lui rester fidèle. Est-ce que par hasard il en serait autrement ?
Croirais-tu réellement au fond de ton cœur, toi qui lis ces lignes, que la cause de la paix, pour la nommer première une fois de plus en face des évènements en cours, puisse définitivement succomber ; que tous les efforts, tous les sacrifices, toute la foi qui lui ont été voués, et aussi tout ce qu’elle promettait, puissent se révéler quelque jour absolument vains ? Non, tu ne le crois pas sérieusement. Croirais-tu réellement que la cause de la justice sociale, l’espérance d’une communauté humaine nouvelle instituée jusque sur le plan économique et, à partir de là, embrassant toute la vie collective, soient entièrement perdues ? Cela non plus, tu ne le crois pas sérieusement. Croirais-tu réellement que la cause de la liberté puisse être écrasée à tout jamais ? Pas davantage. Bref, crois-tu réellement que toutes les choses bonnes, grandes et belles, vraies et saintes, qui sous des formes et en des luttes diverses emplissent ton âme, ne soient que mensonges, rêveries ou mirages ? Eh bien non, tu ne le crois pas sérieusement.
Et dans tes préoccupations personnelles à l’égard de ta famille, de ton métier, de ta destinée enfin, crois-tu vraiment que tout soit faux et décidément perdu ; que ta vocation soit une imposture, le dessein de Dieu à ton sujet une tromperie, le sens dernier de ton destin une pure illusion, et la lumière que faisait luire sur ta vie la promesse divine une sorte de feu follet, sans plus ? Je le répète, je n’en crois rien.
Tu gémis sur toi-même et sur les autres, tu es abattu et tu te désespères, tu accuses Dieu ou le sort, et dans le même temps s’élève en toi, douce mais ferme, une voix qui te dit ton erreur : « Malgré tout l’espérance reste, le chemin continue, et la promesse subsiste, absolue ; Dieu reste fidèle, absolument fidèle ; sa parole demeure ». De même pour ce qui est de la cause de la justice et du bien dans le monde : les ténèbres peuvent bien envahir ton âme, tu peux bien croire que toute foi et tout effort sont vains ; ici encore une voix parle, inlassable, claire, ferme, bien que faible souvent, et elle te dit : « Tu sais bien tout au fond que la victoire du bien et de la justice est absolument certaine, et qu’il ne saurait y avoir aucun doute à cet égard. Et tu sais aussi que je suis au cœur de cette certitude, de cette promesse, moi, ton Dieu, qui suis fidèle et tout-puissant ».
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Bref, cette assurance, tu la possèdes. Ne va pas l’abandonner ! On ne se l’impose ni ne l’impose aux autres. On n’a pas à se travailler pour l’acquérir. C’est un don, et comme une dot divine déposée dans les profondeurs de notre âme. Il se peut que notre tâche soit souvent d’exhorter les hommes à la confiance, et de préférence par le témoignage de notre propre vie, mais cela n’a d’autre sens que d’éveiller chez les autres ce qui s’y trouve de confiance, d’attiser la flamme déjà existante, en somme de les conduire à croire en leur confiance. Nous n’en sommes jamais complètement dépourvus. Cette merveilleuse lumière éclaire toujours quelque recoin de notre cœur. Jamais ce fond de roulement spirituel que Dieu nous octroie ne fait entièrement défaut.
C’est donc la tâche essentielle de notre vie de ne pas abandonner notre assurance. « Mon juste vivra par la foi ». Pour la cause du bien et de la justice dans le monde, pour la venue du Royaume de Dieu, comme pour la bonne gestion de notre propre vie, la seule question décisive est de savoir si nous gardons ou ne gardons pas confiance. Et c’est un rude combat, car il faut lutter contre notre faiblesse, contre notre lâcheté naturelle et contre le péché, contre l’opposition du monde et contre l’obscurité du destin. Bien souvent nous défaillons au fort de la bataille et perdons, faute d’une confiance suffisante, beaucoup de ce qui nous était promis.
Nous serions même totalement perdus sans la fidélité de Dieu, qui, lui, ne perd jamais confiance en nous, parce qu’il nous donne la main dans nos faiblesses et nos défaillances. Nous éprouvons ainsi qu’avec l’aide de cette main secourable le Royaume de la promesse nous demeure toujours accessible. Quand nous la tenons ferme, le plus saisissant des miracles s’impose à nous sous la forme de cette grâce de réconciliation et de rétablissement qui change l’erreur même et la faute en bénédictions. Aussi, lorsqu’au comble de la faiblesse ton âme n’est plus que ténèbres, quand ton chemin s’enfonce dans l’obscurité, retiens fermement cette confiance que tu as malgré tout en la victoire du bien et de la justice. Garde l’assurance que ta vie, ton œuvre, ta mission ont un sens. Garde confiance en la vocation que tu as reçue, en l’étoile que tu as aperçue, en la lumière qui brille au-dessus de toi. Écoute la voix de Luther, qui pour les choses de la foi demeure toujours notre maître : « Tu dois sans chanceler, ni douter aucunement, avoir toujours en vue la volonté de Dieu à ton endroit et croire fermement qu’il veut, même avec toi, faire de grandes choses. Cette foi, c’est la foi vivante : elle pénètre et transforme l’homme tout entier ». Oui, garde de toute la force de ton âme le précieux dépôt de cette assurance. Tu n’as pas de plus grand trésor.
Et lors même que ta foi est mise au défi, qu’en proie au destin et sous ses coups tu n’aperçois encore qu’angoisses et désespoirs, que ta confiance erre en des lieux inconnus, par les déserts, sans plus aucun chemin devant elle, garde pourtant ton assurance, fermement. Grande est la promesse incluse dans la foi. Et, ô miracle, elle grandit avec la foi. Le monde n’appartient pas aux douteurs et aux découragés, aux éternels indécis ; il est à ceux qui croient. La promesse est pour eux.
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« Encore un peu de temps, dit l’Écriture, et celui qui doit venir viendra ; il ne tardera pas ».
Nous ne chercherons pas à pénétrer ici toute l’ample signification de cette parole. Essayons seulement d’en saisir un rayon de lumière. Faut-il en inférer que notre foi et notre persévérance rencontrent un prompt succès ? – pourquoi ne pas employer ce mot ? – Nous pouvons hardiment répondre « oui », si par « promptitude » nous entendons caractériser le temps de Dieu et non celui de l’homme, le temps de sa volonté forte et sûre d’elle-même et non celui du cœur humain, faible et inquiet, le temps pris au cadran de Dieu et non au nôtre ; autrement dit, si nous songeons à la rapidité surprenante avec laquelle surviennent la victoire et le retournement de la situation, à l’impression de brièveté que nous laisse, une fois dépassé, le temps de l’attente angoissée, bref à l’insignifiance de la durée du combat quand on y pense après la victoire. On peut d’ailleurs retourner la chose : dès que nous sommes assurés devant Dieu et avons mis en lui notre confiance, la victoire est là, donnée dans la foi. Elle est une certitude ; et sa plus ou moins rapide traduction dans les faits a moins d’importance que cette certitude elle-même.
Des générations, des siècles, sont traversés de signes avant-coureurs. La tâche préparatoire leur incombe, mais il ne leur est pas donné de contempler l’accomplissement de la victoire. Peut-être en sommes-nous là. Et il en est de même en ce qui concerne nos vies personnelles : sans doute la promesse vise aussi au-delà de notre vie terrestre, mais laissons cela pour aujourd’hui ; pour la vie présente, libérons-nous de tout souci quant à la rapidité ou à la lenteur du succès extérieur ; peut-être devrons-nous passer par une totale défaite apparente ; mais que cela ne nous trouble point : nous sommes en définitive sûrs de la victoire.
Et dans cette certitude nous trouvons déjà la joie des vainqueurs. Il peut même se faire que la joie de celui qui croit et attend soit plus grande dans le temps même où il succombe que celle de l’homme à qui il est donné de voir la victoire s’inscrire dans les faits. La joie de celui-ci sera de l’allégresse, mais celle de l’autre est béatitude. « Heureux les pauvres, heureux ceux qui pleurent, heureux ceux qui sont opprimés, heureux ceux qui ont faim et soif, heureux ceux qui sont persécutés — car Royaume des Cieux est à eux ». Aussitôt que notre âme s’est assurée dans cette confiance et engagée dans la persévérance qu’elle suscite, la parole retentit : « Voici, il vient. Voici, il est là ». Ses accents chantent du fond de l’éternité. Les clartés de la promesse illuminent tout le domaine de l’Éternel. Au-dessus du temps et de l’espace règne la victoire qui vient de Dieu et tend à lui.
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Nous sommes ainsi conduits à l’autre partie de cette admirable parole : « Vous avez besoin de persévérance afin qu’après avoir accompli la volonté de Dieu, vous obteniez ce qui vous est promis… Mon juste vivra par la foi ; mais s’il se retire, mon âme ne prend pas plaisir en lui. Pour nous, nous ne voulons pas être de ceux qui lâchement se retirent pour se perdre, mais de ceux qui ont la foi pour sauver leur âme ». Parole d’une signification puissante et magnifique, révélatrice de la plus profonde pénétration spirituelle et merveilleusement riche d’inspiration. Nous avons besoin de persévérance pour accomplir la volonté de Dieu et obtenir ce qui nous est promis. Persévérer, cela signifie dans notre texte : attendre, d’une attente de tout l’être, demeurant ferme et supportant tout ; c’est-à-dire rester parfaitement calme et maître de son assurance au sein de l’attente.
Perdons-nous de notre assurance, commençons-nous à douter, gémir, à renoncer et à nous révolter, impossible alors de reconnaître et de faire la volonté de Dieu, telle qu’elle se manifeste pour un temps et une situation donnés. Trop agités, nous ne comprenons plus le sens de l’heure ou des évènements. Nous courons de tous côtés, éperdus et prêts à l’abandon, ou bien nous agissons au rebours des intérêts de la cause du bien et de la justice, qui est celle de Dieu, ou à l’encontre de ce qu’il faudrait pour notre vie ou notre tâche. Au terme de cette agitation, c’est le déclin et la disparition de la promesse ; plus de bienveillance divine sur nous, , plus de consolation. Éloigné de Dieu, on se perd soi-même. Plus d’harmonie intérieure, plus de communion avec Dieu en sa souveraineté et sa paix parfaite, mais la vaine mobilité de ce qui passe et le tourment de notre cœur ravagé.
Qu’au contraire nous demeurions fermes dans la foi, et la joie que Dieu prend en nous reviendra sur nous en bénédiction.
« Mon juste vivra par la foi » : puissante vérité, et promesse magnifique ! Nous « sauvons notre âme » : merveilleuse parole ! Nous approchant de Dieu, nous nous retrouvons nous-mêmes. Calme, force et joie sont notre lot.
C’est pourquoi, frères, recueillons tous l’avis : pour la cause de Dieu sur la terre et pour la nôtre, qui bien entendu doit lui être liée, nous avons confiance ; n’abandonnons donc point notre assurance.