Un reste subsistera (1929)

Comme le térébinthe et le chêne conservent leur tronc quand ils sont abattus, une sainte postérité renaîtra de ce peuple.

Ésaïe 6,13

Cette pensée consolante revient bien des fois chez les prophètes : « Un reste subsistera ». Vienne à périr tout ce qui vous tenait à cœur, à s’écrouler sous les foudres du jugement de Dieu ce qui avait noble et grande figure, si pourtant il s’y trouvait mêlé quelque chose qui vint de Dieu, à quoi fussent liées l’espérance, la foi et la souffrance de ses fidèles, quelque chose qu’irrigât un sang généreux, alors on peut tenir pour assuré qu’un « germe sacré » en sortira, d’où en son temps jaillira une vie nouvelle.

Cette pensée, – si l’on peut dire, car c’est tout de même plus qu’une simple pensée, – se présente d’une manière particulièrement saisissante dans le récit grandiose de la vocation d’Ésaïe. Appelé, il hésite, sentant avec effroi son insuffisance et son indignité devant une telle charge ; puis il finit par accepter : « Me voici, envoie-moi ».

Mais quel message proclamer ? Un message étrange et qui suscite la contradiction : « Vous entendrez, et vous ne comprendrez point ; vous verrez, et vous ne saisirez point. Rends insensible le cœur de ce peuple, endurcis ses oreilles, et bouche-lui les yeux, pour qu’il ne voie point de ses yeux, n’entende point de ses oreilles, ne comprenne point de son cœur, ne se convertisse point et ne soit point guéri ». Ce qui veut dire : « Dans ta prédication, ne compte ni sur la compréhension ni sur l’obéissance à l’égard de la volonté de Dieu. Au contraire, attends-toi à la plus complète indifférence et à l’échec total. La leçon qui se dégage des évènements leur demeurera tout-à-fait étrangère, tes paroles ne trouveront aucun écho, quand tu prêcheras la repentance les cœurs ne seront que plus endurcis, et ce que tu annonceras ils le tourneront en dérision. Ce ne sera que de mal en pis ». Sombre perspective en vérité, et curieuse façon de stimuler à l’action prophétique ! On dirait que des expériences ultérieures viennent se mêler au souvenir de la vocation et grossir le rôle d’un élément qui à l’origine n’y était qu’en germe.

Ésaïe élève à nouveau la voix : « Jusques à quand, Seigneur ? » Réponse : « Jusqu’à ce que les villes soient dévastées, et privées d’habitants ; jusqu’à ce qu’il n’y ait personne dans les maisons, et que le pays soit ravagé par la solitude ; jusqu’à ce que l’Éternel ait éloigné les hommes, et que le pays devienne un immense désert ; et s’il y reste encore un dixième des habitants, ils seront à leur tour anéantis. Mais comme le térébinthe et le chêne conservent leur tronc quand ils sont abattus, une sainte postérité renaîtra de ce peuple ! »

Et c’est ce qui arriva. Le chêne de Juda tomba, comme avant lui était tombé le térébinthe d’Israël. Le peuple connut les pérégrinations de l’exil ; une partie d’abord, l’autre ensuite. Le temple de Jérusalem fut réduit en un monceau de ruines et la ville sainte devint la demeure des chacals. Tout paraissait fini et perdu.

Pourtant un « reste » subsistait. Et c’était ce à quoi les prophètes avaient cru, ce qu’ils avaient annoncé, ce pour quoi ils avaient lutté et souffert. Ah certes, ils n’étaient pas nombreux ceux qui avaient comme recueilli ce message en eux-mêmes ! Qu’était cette poignée de petites gens sans influence, au regard de tous les politiciens, prêtres et faux-prophètes, et des masses populaires aveugles ? Ce furent eux néanmoins, ces méprisés, ces humiliés, ces gens décriés comme traîtres à leur patrie, qui furent « le germe sacré », d’où sortit l’Israël nouveau. Bien plus, ce furent la parole et l’œuvre prophétiques elles-mêmes qui constituèrent en fait ce germe d’où sortit l’arbre qui devait devenir pour l’humanité entière l’arbre de la vie. C’est d’Israël en définitive que Christ est venu, et son royaume, le Royaume de Dieu, formera le dernier mot de l’Histoire.

Ces derniers temps, alors que je méditais sur notre situation nationale (1), ce mot : « Un reste subsistera » m’est souvent revenu à la pensée. Pour notre pays aussi, il me semble être notre dernière et sans doute notre unique consolation.

Car nous sommes dans un état alarmant. Tout ce qui en ces jours décisifs a été tenté par des individualités ou des groupements pour le renouveau et le salut de notre peuple, tout ce qui a été proposé comme but nouveau, essayé comme formes neuves de la vie, manifesté comme foi, comme espérance et comme charité, tout ce qui a été prêché sur le jugement et sur la grâce, avouons-le ouvertement, n’a rien donné ou peu de choses en tout cas.

Politiciens, prêtres, intellectuels, ils ont à ce message fermé leurs oreilles et endurci leur cœur, et quant aux masses, tout comme si elles n’avaient jamais entendu quoi que ce soit au sujet d’une parole de Dieu concernant les temps de jugement et de salut, elles poursuivent leur morne et farouche train de vie, ne se laissant émouvoir qu’aux accents de la démagogie. L’arbre de notre espérance a perdu fleurs et feuillages, et qui sait si quelque jour la foudre d’une terrible catastrophe n’atteindra pas le tronc à son tour ? Hélas, ce jour du jugement, notre peuple l’a mérité, abondamment et surabondamment.

Alors ? Faut-il abandonner la charrue ? Et nous jeter au désespoir ?

Eh bien non, car « un reste subsistera ». N’en doutons point. Que meurent les fleurs et disparaissent les vertes frondaisons, et que soit ainsi révélé le caractère secondaire et passager d’une grande partie de nos efforts, que même le tronc soit abattu et qu’attirée sur nous – comme avec des cordages, pour employer une autre image des prophètes – par nos politiciens et barbouilleurs de journaux, nos prêtres et faux-prophètes, nos magnats de l’argent et de l’intelligence, mais aussi par les masses aveugles, la catastrophe historique vienne dévaster notre pays, tout de même la souche sacrée subsistera, et ce que notre cœur a nourri de son sang demeurera, et en son temps grandira pour s’épanouir en une beauté glorieuse au-delà de toute attente.

Il vivra, notre peuple, du fait de la foi et de l’espérance, de l’amour et des souffrances d’un petit groupe d’hommes de tous les camps et de tous les partis, disséminés par tout le pays. Telle est la force de résurrection qui le redressera après la catastrophe. Poursuivons donc notre labeur avec confiance, au milieu de toutes les déceptions, de tous les insuccès, de toutes les misères ; n’en travaillons que mieux, avec plus de fidélité, de sincérité et de décision, purifiés sans crainte au feu du jugement de Dieu. Rien, absolument rien n’aura été vain.

« Un reste subsistera » et en lui sera conservé, réduit sans doute en apparence, mais purifié, béni et sanctifié, tout ce que nous aurons fait par la force de Dieu et même par le seul effort de notre faible cœur ou de notre pauvre esprit, pourvu que nous soyons demeurés fidèles.

C’est encore sous cet angle qu’il nous faut considérer l’ensemble de notre action et de l’état présent du monde. Certes nous n’entendons pas nier que, tout en nous attendant notre vie durant aux jugements et catastrophes qui viennent, nous ayons aussi entretenu de hautes espérances et envisagé pour nos travaux et nos luttes des buts précis et lumineux. La guerre a accentué les deux tendances à la fois, l’atmosphère du jugement et l’espérance (les théologiens appellent ça l’attente eschato-logico-apocalyptique). Il faut dire cependant que cette espérance n’avait pas, et n’a pas aujourd’hui, pour seul objet les choses suprêmes et dernières, le Royaume de Dieu lui-même, mais aussi des réalités humaines et provisoires, telles que la démocratie, le socialisme, la victoire sur la guerre, une civilisation animée d’un esprit nouveau, de meilleures formes de vie commune, et ainsi de suite.

À vrai dire il nous faut reconnaître, si nous ne voulons pas nous abuser nous-mêmes, que le monde d’aujourd’hui n’offre guère de perspectives favorables à cet égard. Ni la démocratie, ni le socialisme n’y trouvent un terrain propice, et pas davantage une civilisation neuve. Ce qui est immédiatement devant nous, c’est la ruine. Et cela peut durer longtemps, plus de temps qu’il n’en faudra aux jeunes d’aujourd’hui pour vieillir et quitter cette terre. Ce qui vient pour le moment c’est une grandissante désolation de la vie de l’esprit et le desséchement Progressif d’une civilisation vouée à la mécanique, à la brutalité, aux démons. La civilisation, il sera de plus en plus absurde d’en parler encore : ne nous enfonçons-nous pas, jour après jour un peu plus avant, dans une barbarie générale ? Démocratie, socialisme, renouveau de la civilisation, allons, laissez-nous rire. Ce qui s’annonce pour le proche avenir, c’est en vérité la dictature de Mammon et de la violence, « panem et circenses » (2), le sauvage bouillonnement de l’égoïsme et de la brutalité les plus impies.

Oui, il se peut que l’ombre se fasse plus épaisse encore. On en vient même à se demander s’il y a encore un quelconque avenir pour tout ce qui compose notre monde d’aujourd’hui. Est-ce qu’à tout le moins le déclin de l’Occident n’est pas devenu irrévocable ? Tous les signes ne l’indiquent-ils pas à quiconque sait voir ? En somme, n’est-ce pas un dernier délai qui est accordé au monde ? Ne voit-on pas venir ce grand changement qu’on désigne du terme de « retour de Christ » ? N’allons-nous pas assister à l’effervescence croissante et au déchaînement de toutes les puissances ennemies de Dieu, de toutes les forces diaboliques ? Et voir l’Antéchrist inaugurer son règne ?

À prendre les choses par l’autre côté, ne devons-nous pas tendre toutes nos énergies et diriger toutes nos aspirations vers ce seul but : la venue de Dieu et de son Royaume, en vue du jugement, mais surtout en vue de l’œuvre de grâce ? À quoi bon nous adonner encore à ces occupations humaines et transitoires au milieu d’une telle époque et en présence de tels signes ? C’est peine perdue, en fin de compte !

Que répondre à cela ?

Encore une fois, et quel que puisse être le déroulement subséquent des évènements, « un reste subsistera ». Il se peut que tout ce que nous vouons aujourd’hui d’efforts à ces nobles buts, à ces espérances humaines, la démocratie, le socialisme, la paix, la civilisation nouvelle, paraisse se dissiper comme nuées au vent et semble provisoirement condamné à une entière stérilité. Cela n’aura pourtant pas été vain. C’est une contribution au royaume du Bien, qui subsistera à tous les temps et qui constitue le sens même et le but de toute l’Histoire. C’est le germe sacré d’un avenir qui peut être proche ou lointain, qu’importe ? Ce qu’aujourd’hui, dépassant le stade du rêve, nous accomplissons parce que tel est notre devoir – soulignons ce mot ! – en vertu d’une vraie nécessité créée par la nature même des choses, et non point par l’effet d’un quelconque arrangement d’homme, cela est également nécessaire pour l’avenir, et contribue à le préparer et déjà à en préserver la souche.

Et tout cela survivra, et revivra quand de cette souche sacrée montera le plant nouveau. Jamais l’Histoire ne se contente de ruptures radicales suivies de cessations définitives. Partout elle montre aussi la connexion et la continuité. Ce que les prophètes d’Israël élaboraient sans aucun espoir, semble-t-il, avant que ne vinssent la catastrophe et l’arrêt de la vie nationale, était l’avenir. C’est à leur œuvre que les prophètes d’après l’exil rattachèrent la leur. Le Second Ésaïe bâtit sur le fondement du Premier, les Psalmistes sur celui de Jérémie. Jusqu’au jour où du tronc presque desséché d’Isaïe surgit le « rejeton », qui devait être le salut du monde. Plus tard, tandis que le monde antique avec toute sa grandeur descendait au tombeau, Augustin écrivit, pour ainsi dire au sein du tumulte des Vandales qui assaillaient le chef-lieu de son diocèse, son fameux livre « de la Cité de Dieu » qu’un seul homme peut-être était capable d’écrire alors, et qui au-delà des ruines du temps ouvrait les voies du monde à venir.

Poursuivons donc notre tâche avec confiance. Pour la démocratie, le socialisme, la paix, la culture nouvelle, œuvrons avec sérénité. Si ce n’est pas là pour nous pur divertissement, mais bien conscience d’une charge organiquement liée au sens d’un développement historique voulu de Dieu, notre labeur servira au mieux l’avenir, en tous les temps. Et quand bien même les buts immédiats de notre effort s’avèreraient inutiles ou déjà dépassés, notre volonté d’action, notre don de nous-mêmes et notre fidélité, notre service de Dieu et des hommes n’en conserveraient pas moins leur valeur propre. Sauvegardés, ils constitueraient un « germe sacré ».

Sans doute pourrait-on objecter ici qu’une activité à qui l’espérance d’un succès immédiat est interdite et qui est à si long terme qu’en fait elle ne doit s’attendre qu’à l’invisible, ne peut qu’être dépourvue de cette allégresse si nécessaire à l’action efficace, et grevée de trop de résignation. C’est vrai dans une certaine mesure : la résignation est à bien des égards le lot de notre génération, et elle peut agir comme un élément paralysant. Pourtant elle peut aussi fortifier et stimuler. En délivrant des illusions, elle peut éveiller l’espérance ; en barrant les faux chemins, elle peut vous conduire vers ces sources profondes qui jaillissent de l’éternité et où toute activité véritable s’alimente et trouve le succès, même le succès immédiat. Comprenne qui en est capable !

Mais je veux ajouter que sur les ruines mêmes de notre temps un nouveau monde s’édifie, que l’aurore d’un jour nouveau éclaire les cimes, et qu’ici et là on voit déjà quelque rayon du soleil revenu tomber jusque dans les profondeurs. Quelques-unes de nos plus hautes espérances sont liées à la figure de ce monde qui vient : l’espoir de la paix, la vision d’une nouvelle unité des peuples, la promesse même d’une nouvelle visitation d’en-haut. N’y a-t-il pas là un motif suffisant d’enthousiasme fort et profond ?

Et si tels de nos objectifs devaient être réellement dépassés dans la forme où nous les voyons jusqu’ici, pourquoi ne réapparaîtraient-ils point sous d’autres aspects ? À la place de la démocratie, ne peut-on concevoir une nouvelle forme de la fraternité qui respecterait pareillement la liberté ? Et au lieu de la civilisation nouvelle, une nouvelle connaissance de Dieu, une nouvelle vie selon Dieu ? Les objectifs auxquels nous tendons présentement ne sauraient-ils être envisagés comme des formes voilées dont, ôté le masque, la beauté se révèlerait plus éclatante que nous ne nous y attendons ? Ne peut-on imaginer que l’effroyable détresse de notre temps, je parle ici surtout de la détresse spirituelle, soit comme la phase préliminaire d’un changement total et la condition primordiale d’un retour à Dieu et à l’homme ? Et ne se peut-il faire qu’une activité dépensée au service de causes périmées nous mène précisément vers les causes nécessaires et pleines d’intérêt, alors que sans ce labeur nous nous serions purement et simplement enlisés ?

Résumons-nous : si Dieu est vivant et si, œuvrant avec lui, nous travaillons pour lui, il nous est, dans ce temps même, parfaitement possible de travailler avec joie. Car Dieu est joie en tout temps. Il est même l’unique joie. Il a toujours pour nous quelque tâche à quoi est liée sa joie. Quiconque le sert, ne travaille jamais sans espérance, ni sans « résultat ».

Et cela est encore vrai, si nous considérons les choses finales. Même si la fin des temps était proche, il nous faudrait encore travailler, et ce ne serait pas en vain. Car seul demeure éveillé celui qui travaille. Qui ne fait rien s’endort comme s’endormirent les vierges folles, et il tombe dans de vains rêves.

Or nous ne pouvons travailler qu’à des tâches humaines, concrètes, transitoires. Et c’est là que Dieu vient à notre rencontre. Il ne se considère pas comme trop grand pour ce faire. Il n’y a que des théologiens ou des bigots pour inventer ces histoires-là ; la Bible, elle, enseigne partout le contraire. Nous rencontrer ainsi, c’est en quelque sorte sa manière habituelle de se faire homme. Accomplir dans cet esprit la tâche qui nous apparaît comme indispensable, militer pour des causes humainement nobles et élevées, même si elles sont purement contingentes, c’est donc en fait préparer le retour de Christ et nous y préparer nous-mêmes au mieux. Oui, nous avons la liberté et même le devoir de le dire : ce n’est pas dans l’atmosphère confinée de la pure théologie ou de la dévotion, mais bien dans le corps-à-corps des tâches que Dieu propose à notre génération, qu’il nous est donné de respirer les souffles avant-coureurs de la venue de Dieu et de sentir notre cœur s’emplir de la joie la plus haute, de la présence même de Dieu.

Sachons-le aussi : Dieu a besoin de nous ! Car il ne saurait se révéler aux inactifs ou aux dormeurs, et ne peut s’approcher que des vigilants, de ceux qui sont à l’écoute, qui attendent, C’est-à-dire de ceux qui travaillent. Et c’est pourquoi notre activité est en des temps comme les nôtres plus indispensable que jamais, et plus abondante en joie aussi, je le répète, pourvu que nous comprenions les choses comme elles doivent être comprises.

Pour finir, nous pouvons encore considérer notre vie personnelle de ce point de vue, riche de consolation. Ici encore il en va de même : beaucoup, beaucoup, de ce que nous avons tenté dans les petites choses, la plus grande partie peut-être, se flétrit.

Fleurs et feuillages tombent. Rien ne vient de ce que nous désirions de tout notre être. Il faut s’attendre à des catastrophes, à des effondrements, partiels ou totaux. Et c’est d’un tragique particulier dans la vie de ceux que nous nommons grands. Que s’est-il réalisé immédiatement des grandes espérances d’un Luther, d’un Zwingle, d’un Pestalozzi, d’un Wilson (oui, je le nommerai aussi !) ? Tant de choses tournèrent mal. Zwingle tomba à Kappel sous les coups d’un reitre ; un an après la mort de Luther, Charles-Quint et le duc d’Albe foulaient aux pieds sa tombe ; Pestalozzi méditait à Neuhot, vieillard solitaire, sur l’échec de son œuvre ; Wilson mourut dans les ténèbres.

Et néanmoins, ici encore « un reste subsistera ». Du tronc de l’arbre brisé par la foudre a surgi tout à nouveau la réforme zwinglienne et luthérienne et peut-être vivons-nous actuellement les jours qui promettent au meilleur de ce qu’ils voulurent un nouvel épanouissement. Le chant du cygne de Pestalozzi vieillissant s’est transformé en un chœur puissant qui dit en un magnifique crescendo l’amour nouveau du peuple. Et la Société des Nations de Wilson vit malgré tout.

Ainsi en sera-il pour nous, si petits que nous soyons. Que soient perdus bon nombre de nos efforts, que tombent fleurs et feuilles, que soient retranchées même des branches entières, que vienne la catastrophe et que l’insuccès total soit le terme de notre activité, ce n’en sera que le terme immédiat. « Un reste subsistera » pourtant. Du centre même de ce que nous aurons attendu et voulu dans la foi, des racines que Dieu lui-même a fixées en nous, montera la vie nouvelle, autre peut-être mais beaucoup plus belle et plus glorieuse que nous ne nous y attendions. Des plus rudes défaites, des plus cruelles déceptions, des plus amères douleurs, elle montera radieuse. Et peut-être le plus éclatant des insuccès momentanés sera-t-il la condition préalable du triomphe final.

Tenons-nous donc en assurance. Montrons une fidélité, une énergie, une pureté toujours plus grandes. Soyons prêts en particulier à répandre la semence sacrée de la souffrance. Un jour, quand nous ne la verrons plus avec les yeux de la chair, la plante nouvelle se dressera, merveilleuse, dans le champ de Dieu. Et – qui sait ? – peut-être est-il bon que nous ne la voyions pas actuellement !

Redisons-le encore, avec une vision de totalité, et dans le sens le plus énergique et le plus sacré : « Un reste subsistera ».


(1) Cette méditation a été écrite pour le jour du « Jeûne Fédéral » suisse, en 1929.

(2) Le pain et les jeux que réclamait du pouvoir la foule romaine du temps de la décadence.